Nassonia, une forêt naturelle au service de tous

Carte blanche dans le Soir du 13 juillet 2016

Prof. Marc Dufrêne, Hugues Claessens, Jean-Thomas Cornelis (ULg Gembloux Agro-Bio Tech/UR BIOSE), Prof. Pascal Poncin (ULg Institut de Zoologie), Prof. Charles-Hubert Born (UCL SERES), Prof. Thierry Hance, Nicolas Schtickzelle (UCL Earth and Life Institute) & Dr. Roseline Beudels (IRScNB).

A Nassogne, Eric Domb (fondateur de Pairi Daisa) propose de consacrer prioritairement à la conservation de la nature un espace forestier de plus de 1.500 ha, en y favorisant l’évolution spontanée de la forêt feuillue, avec des interventions humaines les plus réduites possible. Ce projet alternatif, nommé Nassonia, propose une valorisation douce de ce futur espace naturel, basée sur une approche pédagogique et touristique de haute qualité, tout en assurant à la commune des revenus équivalents à ceux générés par la gestion forestière traditionnelle basée sur l’exploitation du bois et la location du territoire pour la chasse. Pour être réaliste et correspondre au rythme de la nature – les chênes et les hêtres vivent plusieurs siècles – ce projet veut s’inscrire dans le temps avec un bail emphytéotique sur une période de 99 ans. Il implique donc aussi une démarche administrative car la forêt est soumise au régime forestier, c’est-à-dire qu’elle est gérée par le Département de la Nature et des Forêts.

hetraie_d_ArdenneLa forêt ardennaise avec son faciès dominant de la hêtraie

A Nassogne, le projet a reçu un accueil prudent mais intéressé de la part du conseil communal. Pourtant, depuis l’annonce de ce projet, la forêt ardennaise résonne de très nombreuses réactions passionnelles, tantôt enthousiastes, tantôt scandalisées. Celles-ci mettent en évidence de manière exemplaire à la fois les multiples rôles et services que la forêt assure et les conflits d’utilisation de l’espace entre les nombreux bénéficiaires potentiels. En effet, en proposant une nouvelle voie de valorisation du patrimoine communal, le projet Nassonia remet en cause l’organisation actuelle : les mondes de la chasse et de la filière bois, se sentant dépossédés, sont farouchement opposés au projet, alors que d’autres se réjouissent de cette reconnaissance du rôle de la forêt en tant que patrimoine naturel, culturel et social au service de la société dans son ensemble. En effet, un projet aussi original et ambitieux en Ardenne, qui modifie profondément les fondements de la gestion forestière traditionnelle et les relations entre des acteurs bien installés qui se sont répartis les usages des massifs forestiers, ne peut que provoquer la crainte et des réactions parfois extrêmes.

Pourtant, pour autant qu’il soit effectivement mené dans l’objectif d’un développement harmonieux de la nature, ce projet est une occasion unique de restaurer de forêts plus naturelles et de proposer de nouvelles formes complémentaires de valorisation du patrimoine naturel.

Car en effet, les forêts wallonnes, largement marquées par la surexploitation des siècles passés (brûlis, pâturage, charbon de bois, etc.), recèlent peu de forêts bien conservées au cours du temps. Seulement un tiers de la forêt wallonne a traversé les deux derniers siècles sans défrichement ou enrésinement. Et parmi celles-ci, la majorité souffre encore du tassement des sols lors d’exploitations peu attentives ou du manque de régénération du fait de la surabondance de gibier. En outre, la fonction de production de bois étant généralement prioritaire – même si c’est souvent bien légitime – la forêt est simplifiée pour une gestion plus aisée, et n’a pas le temps de vieillir, de sorte qu’elle est privée de tout un pan de son développement naturel, comme les très vieux bois et le bois mort, véritables havres de biodiversité et garants du bon fonctionnement de l’écosystème. La plupart des forêts wallonnes sont donc assez loin de leur état naturel et pourraient accueillir une plus grande biodiversité tout en produisant de manière plus optimale les différents services de maintien de la fertilité des sols ou encore de protection des ressources en eau.

Coupe_a_blancPorte d’entrée du Parc naturel des Deux Ourthes à La Roche-en-Ardenne

Le bilan global de l’état de la forêt wallonne est loin d’être optimal comme en témoigne d’ailleurs sa fragilité aux différentes crises sanitaires et climatiques qu’elle a du mal à traverser. L’évolution attendue du climat va nécessairement accentuer la sensibilité des forêts si nous n’en améliorons pas leur résilience, c’est-à-dire leur capacité à s’adapter à de nouvelles conditions environnementales.

Depuis la publication en 2005 d’un document identifiant les principaux enjeux en matière de gestion de la biodiversité dans les forêts, qui a inspiré en partie la mise en œuvre de Natura 2000 et le nouveau Code forestier, la biodiversité forestière en forêt publique devrait bénéficier d’un certain nombre de mesures favorables. Il reste pourtant encore du chemin à accomplir, notamment en ce qui concerne la pratique des coupes à blanc, la gestion respectueuse du sol, le maintien de gros arbres et la création de zones de réserves intégrales où la forêt peut assurer le cycle naturel complet de la vie d’un arbre et développer pleinement ses fonctions écologiques. Dans ce cadre, le nouveau Code forestier prévoit que 3 % de la surface forestière publique soit totalement consacrée à la biodiversité. Cependant depuis sa parution il y a 8 ans, aucune cartographie précise de ces réserves intégrales n’est disponible.

Dans ce contexte, le projet Nassonia est une opportunité unique de voir un espace important consacré prioritairement à la biodiversité forestière et aux processus naturels.

En effet, avec à peine 0.75 % de son territoire reconnu comme zones naturelles protégées par un statut de conservation à la hauteur des enjeux biologiques, la Wallonie a encore un retard considérable, et ce malgré une série d’initiatives de restauration des paysages grâce à des cofinancements européens. De plus, la plupart de ces sites protégés et restaurés sont soit trop petits, soit ils ne disposent pas d’une infrastructure de valorisation adéquate. Ils sont aussi très rarement forestiers et ne sont maintenus qu’à grands coups de gestion active financée par les pouvoirs publics.

A l’heure des changements globaux, nous avons réellement besoin de ce type de laboratoire vivant, fonctionnant sur le long terme, pour comprendre comment évolue la forêt lorsque les pressions de production deviennent moins prégnantes, comment les sols forestiers, capital essentiel pour notre avenir, se reconstituent, et surtout comment l’écosystème réagit et s’adapte aux changements climatiques. Ainsi, une surface de grande taille, représentative des différents contextes écologiques de la forêt ardennaise, en interaction les uns avec les autres et où les processus naturels qui régissent la dynamique forestière sont en action, rencontrerait de multiples objectifs et apporterait aussi à la communauté scientifique des éléments essentiels pour la gestion future de la forêt et de sa biodiversité. Les expériences de mise en réserve intégrale dans la partie flamande de la Forêt de Soignes montrent déjà une réponse biologique très importante avec le retour d’espèces qui y avait disparu et le développement de véritables hauts lieux de biodiversité.

Mais l’intérêt de ce projet dépasse largement les enjeux biologiques et scientifiques. L’Ardenne est à la veille de changements majeurs dans l’équilibre traditionnel des usages des paysages. Les changements climatiques vont inévitablement modifier le fonctionnement de la forêt, avec de sérieuses questions sur le comportement des essences principales comme l’épicéa et le hêtre que l’on sait sensibles. La mondialisation du marché du bois ne garantit pas la rentabilité de l’exploitation forestière en Belgique, comme le montrent les difficultés que rencontrent les scieries de feuillus Du bois moins cher, qu’il soit feuillus ou résineux, peut venir d’ailleurs et que la course à la productivité ne peut y être gagnée vu la structure très morcelée des propriétés, la forte hétérogénéité des conditions écologiques et les autres usages des massifs forestiers. En outre, les attentes sociétales changent rapidement avec un attrait de plus en plus important envers la pratique d’activités de mobilité douce, le développement d’activités sportives en espaces naturels, le développement du bien-être personnel, la découverte de la nature, voire une réelle demande de découverte de paysages ré-ensauvagés (appel de la nature et du concept du « wilderness »).Marque_ArdenneLes valeurs de l’Ardenne mises en œuvre à travers la marque « Ardenne »

L’Ardenne a bien compris cet enjeu majeur de son développement économique. A travers la création de la marque « Ardenne », qui promeut les valeurs de bien-être, d’authenticité, d’enchantement et de partage, elle a défini une orientation spécifique, originale et créative qui s’appuie très largement sur la notion de territoire caractérisé par une âme forte, sur le capital naturel et le partage de la nature. Cette vision se développe notamment dans la promotion des massifs forestiers ardennais.

Pour ce que l’on en sait à travers les quelques communiqués et articles de presse, le projet Nassonia semble répondre largement à cette vision et peut même être un des points d’ancrage majeurs de son développement. A l’instar du projet du Parc national de Haute Campine qui a restauré et mis en valeur des paysages assez uniques, et qui est un succès économique, on a besoin de projets mobilisateurs comme Nassonia pour mettre en valeur ces zones où la nature reconquiert des espaces qui étaient dédiés à des modes de production assez exclusifs pour développer d’autres modes de valorisation qui permettent de mieux les partager. Les valeurs de la marque « Ardenne » doivent se concrétiser sur le terrain par des paysages qui sont cohérents avec l’image qui est mise en avant pour développer un tourisme doux, mais de haute valeur ajoutée, pour un public de plus en plus exigeant.

Si ce projet innovant peut effectivement bousculer des équilibres locaux bien établis, son impact économique régional sur la chasse ou la production de bois est extrêmement limité vu les surfaces concernées. Les bénéfices de cet espace naturel partagé pour l’ensemble de la collectivité (développement d’un tourisme de haute qualité, amélioration de la santé et du bien-être, image innovante de l’Ardenne qui promeut une forêt en liberté, développement d’un pôle de la biodiversité et de nouvelles connaissances, etc.) devraient permettre un soutien très large des pouvoirs locaux ou régionaux. Ce projet ne pourra, on l’espère, que catalyser une mise en valeur de l’important capital naturel potentiel de l’Ardenne.

Dossier sur le sujet du Soir du 13 juillet 2016.

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Le projet de CoDT 2016

Lesse au rocher serin

Après une première révision initiée sous la législature précédente, une nouvelle version du Code wallon du Développement Territorial (CoDT) est en cours de discussion à la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et des transports du Parlement wallon (Décret 307).

Ce projet de CoDT met à jour l’ancien Code Wallon de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme, du Patrimoine et de l’Énergie (CWATUPE) mais il modifie aussi les équilibres de base des plans de secteur et la protection de certains éléments des paysages. Cette révision devrait pourtant être une opportunité majeure pour prendre enfin en compte les enjeux patrimoniaux et environnementaux de la biodiversité dans les paysages.

Plusieurs associations se mobilisent pour rappeler les enjeux essentiels de la biodiversité dans les paysages wallons à travers un communiqué de presse  et le lancement d’une pétition à destination de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et des transports.

En 2014 plusieurs d’entre nous avaient déjà réagi au projet de SDER avec un article Quelle biodiversité dans les paysages wallons en 2020 ? pour mettre en évidence l’absence réelle de prise en compte des enjeux patrimoniaux et environnementaux liés à la biodiversité.

La version du CoDT discutée actuellement au Parlement wallon ignore ces enjeux et, va même plus loin, en libéralisant certaines activités, en limitant les contrôles éventuels ou en augmentant la porosité des activités dans la hiérarchie du zonage du plan de secteur.

La Wallonie a pourtant un potentiel naturel important, signe d’une qualité de vie (santé, environnement, sécurité, alimentation, …) qui devient une priorité majeure pour les citoyens, qui peut largement la démarquer des régions limitrophes. La place de ce capital naturel dans les paysages doit être reconnue et, au XXIème siècle, une gestion optimale de la biodiversité peut devenir une réelle opportunité de développement économique.

Nous nous proposons une analyse en 5 chapitres avec d’abord :

Prof. Marc Dufrêne (ULg Gembloux Agro-Bio Tech, Ecologie) & Prof. Jean-Thomas Cornelis (ULg Gembloux Agro-Bio Tech, Pédologie), Prof. Charles De Cannière (ULB, Ecole Interfacultaire des Bioingénieurs), Prof. Nicolas Dendoncker (UNamur, Président Géographie), Dr. Marius Gilbert (ULB, Ecole Interfacultaire des Bioingénieurs), Prof. Marie-France Godart (ULB, Ecole Interfacultaire des Bioingénieurs), Prof. Thierry Hance (UCL, Ecologie), Prof. Anne-Laure Jacquemart (UCL, Faculté des bioingénieurs), Prof. Grégory Mahy (ULg Gembloux Agro-Bio Tech, Ecologie), Dr. Johan Michau (ULg, Zoologie), Prof. Pierre Rasmont (UMons, Zoologie), Prof. Nicolas Schtickzelle (UCL, Ecologie), Prof. Hans Van Dyck (UCL, Président Biologie), Prof. Nicolas Vereecken (ULB, Ecole Interfacultaire des Bioingénieurs), Prof. Marjolein Visser (ULB, Ecole Interfacultaire des Bioingénieurs).

Ces textes sont basés sur un avis détaillé réalisé à la demande de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et des Transports du Parlement wallon.

Version finale du Programme wallon de Développement Rural (PwDR)

pwdr-2014-2020

Après de nombreux échanges avec la Commission européenne, le PwDR 2014-2020 est en fin sur les rails. Pratiquement toutes les modifications proposées en 2014 qui mettaient en péril les équilibres et les liens entre l’agriculture, l’environnement et la biodiversité ont été amendées.

On regrettera toutefois que la prime de 20% pour les Mesures Agri-Environnementales mises en oeuvre dans les zones les plus intéressantes biologiquement (la Structure écologique principale) ait été supprimée car elle permettait de cibler les zones du territoire où ces mesures étaient les plus efficaces.

Liste des MAEC retenues pour le PwDR 2014-2020.

Programme wallon de Développement Rural : évolutions en vue

Un communiqué de presse du Cabinet du Ministre René Collin annonce une évolution du Plan de Développement Rural (PDR) qui revient sur un certain nombre de mesures potentiellement problématiques pour le maintien et le développement d’un agriculture plus en équilibre avec l’environnement et permettant à des agriculteurs spécialisés de participer à la gestion des milieux naturels.

Parmi les mesures révisées, plusieurs concernent directement les problématiques discutées dans ces pages :

–      Agriculture biologique :

  • Suppression du plafond d’aide prévu à 25.000 EUR/agriculteur et dégressivité via un montant d’aide inférieur au-delà de 60 hectares par type de culture.

–      Mesures agroenvironnementales (MAE) :     

  • Suppression du plafond d’aide prévu à 25.000 EUR/exploitation
  • Révision des cumuls autorisés avec possibilité de cumuler les aides à l’agriculture biologique avec les MAE « prairies naturelles » et « prairies à haute valeur biologique ».
  • Mise en place d’une MAE « autonomie fourragère » proche de la « MAE 7 : faible charge en bétail » du PwDR 2007-2013 avec possibilité de poursuivre en 2015 les contrats en cours (les agriculteurs concernés recevront un courrier personnalisé).

Plan wallon de Développement rural : le bonheur sera-t-il encore dans le pré ?

La nouvelle proposition du Plan wallon de Développement Rural (PwDR) modifie de manière importante le subventionnement de la gestion des prairies extensives et de l’élevage à faible charge. Ces nouvelles contraintes mettent notamment en péril des exploitations extensives qui se sont spécialisées dans la gestion des milieux naturels.

Groupe de réflexion Biodiwal : UCL (Prof. Thierry Hance, Anne-Laure Jacquemart, Nicolas Schtickzelle, Hans Van Dijck), ULg (Prof. Marc Dufrêne, Grégory Mahy, Emmanuel Sérusiaux), UMons (Prof. Pierre Rasmont) et UNamur (Prof. Nicolas Dendoncker)

Le nouveau Plan wallon de Développement Rural (PwDR)

Ce nouveau plan comprend une série de mesures favorables à l’environnement dont les Mesures Agro-Environnementales (MAEC) et l’Agriculture biologique (voir les éléments du débat). Ce sont des modifications assez importantes de ces deux mesures qui vont affecter considérablement les liens entre agriculture, environnement et biodiversité. Les éléments détaillés ci-dessous sont largement partagés par d’autres acteurs du secteur.

Cet article a pour but de révéler prioritairement les conséquences des choix proposés sur les éleveurs qui se sont engagés largement dans les programmes d’agri-environnement. La logique peut être étendue toutefois l’ensemble des agriculteurs qui se sont inscrits dans une logique de diminuer l’impact de leur activité de production sur l’environnement ou pour développer la biodiversité dans leur exploitation.

Par exemple, les montants des aides destinées aux éleveurs sont rabotés de plusieurs manières  à travers :

  • des taux dégressifs accélérés en fonction des surfaces concernés,
  • des montants très faibles par rapport aux pertes économiques attendues pour éviter l’impact d’une agriculture intensive (à peine 30% environ voir moins si les surfaces augmentent),
  • la suppression du complément de 20% si la prairie est localisée dans la Structure Ecologique Principale (SEP) pour cibler les zones prioritaires et l’efficacité des investissements,
  • la suppression de la mesure MAE7 « faible charge » alors qu’elle était très intéressante, facile à contrôler, très ciblée au niveau environnemental et qu’elle a représenté un investissement certain pour les agriculteurs qui s’y sont engagés,
  • des diminutions en cas de cumul(s) alors que les aides sont calculées en principe pour être complémentaires,
  • un seuil maximal de 50% de prairies éligibles en cas de prairies naturelles,
  • des plafonds de 25.000 € maximum, tant pour les MAEC que pour le BIO,
  • une augmentation étonnante de la charge à l’hectare en agriculture biologique qui pénalise les éleveurs les plus extensifs, ce qui ne correspond pas à la philosophie du bio.

A cela s’ajoute potentiellement des modifications arbitraires de critères d’éligibilité des parcelles avec un passage de  « pâturages à statut particulier » (code 613) à des « prairies à graminées en gestion de la nature » (code 9824), ce qui les exclut au minimum des paiements relevant du premier pilier de la Politique Agricole Commune et probablement d’aides spécifiques du second pilier.

Ces modifications seraient justifiées par le fait qu’environ 1 % des agriculteurs mobiliserait de l’ordre de 20% des aides environnementales, que des acteurs non agricoles en bénéficient (« d’effet d’aubaine ») et qu’il faut mobiliser les budgets pour les « vrais » agriculteurs qui produisent réellement des biens agricoles.

L’impact de ces nouvelles règles sur les exploitants extensifs

Vu la complexité de l’architecture actuelle des calculs par méthode et de leur combinaison, il est devenu très difficile de mesurer très précisément l’impact économique sur l’équilibre financier des exploitations agricoles qui se sont engagées de manière significative dans le programme agri-environnemental. Toutefois, vu le nombre de contraintes à effet guillotine, les pertes attendues peuvent dépasser facilement plus de 50% des revenus chez les agriculteurs les plus engagés. Les éleveurs sont particulièrement touchés, surtout s’ils sont extensifs, alors que les milieux qu’ils gèrent sont les plus menacés ou qu’ils assurent des contrats de gestion des milieux protégés.

L’impact des taux dégressifs, à la fois pour les MAE et le Bio, est très important. Rien que pour la méthode MB2 « Prairies naturelles », où le montant qui était de 200 €/ha n’est conservé que sur les 10 premiers ha, la diminution de l’aide va de 25% pour 20 ha à 40% pour 50 ha. Si des économies d’échelles sont possibles dans certains cas d’exploitants qui disposent de grandes surfaces d’un seul tenant, ce n’est pas le cas de tous. Comme les pertes économiques dues aux contraintes sont estimées entre 350 et 580 €/ha, le montant moyen des aides est loin de couvrir les enjeux économiques. Les éleveurs ou agriculteurs qui se sont spécialisés (animaux, matériel, …) dans la gestion de ces milieux voient aussi la surface éligible limitée à 50% de l’ensemble des prairies.

A cela s’ajoute la suppression d’une valorisation de 20% (40 €/ha) lorsque ces prairies étaient localisées au sein du périmètre de la Structure Ecologique Principale, ce qui permettait de cibler les zones où l’impact environnemental et biologique est plus marqué et surtout plus cohérent dans le paysage wallon.

Pour les éleveurs extensifs, la suppression de la méthode MAE7 « Faible charge en bétail et soutien des systèmes herbagers» de 100 €/ha peut aussi entrainer des pertes importantes si ils n’arrivent pas à respecter les règles de la nouvelle méthode MB9 « Autonomie protéique », ce qui est fort probable pour les producteurs laitiers.

En agriculture biologique, la modification assez paradoxale du niveau de charge moyen en bétail (de 0,6 UGB/ha actuellement à 0,8 puis 1,0 UGB/ha) pénalise proportionnellement les éleveurs les plus extensifs. Un agriculteur qui atteignait une charge de 0,6 UGB/ha perd immédiatement un tiers des revenus liés à ce seuil de référence s’il passe à 0,8 UGB/ha. Si ce revenu est essentiel à l’équilibre financier de l’exploitation, la situation est intenable. Bien souvent la charge moyenne en bétail ne peut dépasser 0,2 à 0,3 UGB/ha pour conserver un bon état de conservation des milieux naturels. Les éleveurs concernés vont alors devoir compléter la gestion des milieux naturels par des milieux gérés bien plus intensivement ou abandonner la gestion extensive pour limiter l’impact de cette décision dont les conséquences n’ont pas été bien étudiées. D’autres critères sont nécessaires pour corriger les éventuels problèmes constatés.

Highlands aux Troufferies de LibinHighlands assurant la gestion de zones restaurées dans le cadre d’un projet LIFE dans les Troufferies de Libin. D’importantes surfaces de réserves naturelles permettent ainsi à des agriculteurs de diversifier leurs revenus tout en assurant une gestion du patrimoine naturel wallon (voir les projets de restauration de tourbières en Wallonie).

Alors que chacune des aides est censée compenser en partie des contraintes différentes, le cumul des aides MAEC avec le Bio et les indemnités Natura 2000 entraîne des diminutions complémentaires (-100 €/ha, – 300 €/ha) bien compliquées à comprendre et à gérer (voir la structure proposée à l’enquête publique).

L’instauration de plafonds à 25.000 € par exploitation pour les aides MAEC d’un côté et pour le Bio de l’autre sont dramatiques pour les exploitants dont le revenu principal dépend de ces aides.

Enfin, la complexité du système mis en place avec de multiples effets croisés délétères, digne de l’univers kafkaïen, est en contradiction avec la volonté de la simplification administrative des procédures. Les possibilités de recours contre l’arbitraire de certaines décisions administratives ne sécurisent pas les acteurs concernés, car elles étaient déjà très longues et difficiles à mettre en œuvre vu les nombreuses possibilités d’interprétations. L’absence d’un lieu pour un débat contradictoire et la puissance du contrôle de l’administration sur l’ensemble du fonctionnement de l’exploitation ne sont pas des éléments facilitateurs.

Les éleveurs extensifs sont-ils alors des « profiteurs » ?

Par définition, plus les éleveurs sont extensifs, plus ils ont besoin de surfaces pour assurer la rentabilité économique de leur exploitation. Il est donc normal qu’ils bénéficient de montants plus élevés d’aides. Par ailleurs, tous les agriculteurs wallons ne disposent pas d’importantes surfaces de prairies naturelles ou de haute valeur biologique ou ne se sont pas engagés à gérer des centaines d’hectares de réserves naturelles. Ils ne disposent pas tous de matériel spécialisé et/ou de races rustiques adaptées à ces conditions extrêmes. Tous les agriculteurs ne sont pas motivés à passer des heures à rassembler des moutons, à réparer quotidiennement des clôtures mobiles ou à gérer un troupeau dispersé dans plusieurs implantations. Par ailleurs, l’administration ne va pas de son côté fractionner la gestion de sites de grande surface entre 5 ou 6 exploitants alors que la gestion fonctionne très bien avec un seul opérateur spécialisé.

Le saupoudrage de moyens sur l’ensemble des exploitations agricoles n’est pas synonyme de multifonctionnalité. Les conditions environnementales, sociales et économiques sont bien différentes : il n’y a pas un type d’agriculture moyenne à promouvoir partout mais bien différentes formes d’agriculture, adaptées à l’environnement et aussi, qu’on le veuille ou non, aux nouveaux enjeux de société. La multifonctionnalité ne doit pas empêcher la spécialisation. Il est donc normal que certains acteurs qui ont fait ce choix de vie puissent continuer à bénéficier de moyens plus importants pour assurer une mission plus d’intérêt public que personnel.

D’un point de vue économique, la diminution importante des aides va nécessairement déséquilibrer de nombreuses exploitations. Il a pourtant été démontré (projet EcoGest du Centre de Recherches Agronomiques de Gembloux – 2010) que la complémentarité des aides ne permettait pas de couvrir les frais de gestion : « Pour la très grande majorité des exploitations suivies, il est constaté que le cumul des aides (MAE, bio, DPU, autres subsides) ne suffit pas à compenser la perte de revenu. (…) Pour soutenir les actions des agriculteurs en faveur de la biodiversité, il est souhaitable de maintenir des aides spécifiques (primes MAE ou Natura 2000), voire de les augmenter dans le cas de la gestion par pâturage selon son degré de complexité. »

Les milieux qui sont ainsi gérés de manière extensive assurent une large diversité de services écosystémiques comme l’amélioration du stockage et de la qualité de l’eau, la limitation de l’érosion et des inondations, la pollinisation, le stockage de carbone dans le sol, le développement d’activités de loisirs, … dont les bénéfices divers ne sont pas intégrés dans l’analyse du montant des aides.

Enfin, en permettant à la Wallonie de remplir les obligations environnementales régionales qui s’imposent à tous les états européens, ces agriculteurs qui sortent d’un cadre productif intensif permettent aux autres de bénéficier des aides agricoles. Avec moins de 1% du territoire bénéficiant d’un statut de conservation fort, la Wallonie est déjà très en retard par rapport aux régions voisines, avec un risque d’identifier une réelle distorsion de la concurrence à partir du moment où les indicateurs d »état de la biodiversité sont majoritairement dans le rouge.

Souvent pionniers dans leur domaine, ces agriculteurs extensifs jouent un rôle social important et contribuent aussi de manière significative à l’image de l’agriculture car ils sont souvent impliqués dans des activités de sensibilisation et de communication (fermes ouvertes, classes vertes, …) mettant en valeur la diversité de leurs activités.

S’il est indispensable de vérifier l’adéquation des aides par rapport aux pertes économiques et aux coûts de gestion, le nombre de contraintes imaginées est tel qu’il va profondément modifier l’équilibre économique des exploitations concernées et donc l’impact sur l’environnement et la biodiversité.

Quelles conséquences sur l’environnement et la biodiversité ?

Les modifications de l’équilibre économique des exploitations sont telles que les exploitants qui géraient des surfaces significatives de milieux naturels devraient logiquement rechercher d’autres formes de revenus. Cela signifie que des milieux à plus ou moins haute valeur biologique, protégés indirectement pendant des années et pour lesquels la Région wallonne a investi des montants très importants (de l’ordre de 50 millions € en 7 ans pour les MAE 2, 7 et 8 uniquement pour la période 2007-2013) risquent bien de disparaître ou au mieux d’être altérés.

La mise en œuvre des mesures agri-environnementales était pourtant une manière positive de confier la responsabilité de la gestion de ces sites menacés à leurs propriétaires ou gestionnaires et de reconnaître l’intérêt public de cette mission en prenant au mieux en charge les pertes éventuelles et les coûts générés par une gestion spécifique. Pour ceux qui se sont investis personnellement dans cette mission, qui ont suivi de près l’évolution et l’amélioration des milieux grâce à leur gestion, la remise en cause de leur rôle est catastrophique.

Les prairies naturelles et les prairies à haute valeur biologique sont pourtant les biotopes les plus menacés en Wallonie : malgré la mise en oeuvre de Natura 2000, on a probablement perdu au moins la moitié des prés de fauche en moins de 10 ans, y compris dans les sites Natura 2000. Au contraire des espèces menacées qui peuvent être légalement protégées de la destruction sur l’ensemble du territoire, les biotopes ou les habitats menacés ne bénéficient pas en Wallonie de statut de protection si le site qui les abrite n’est pas une réserve naturelle, bénéficiant d’un plan de gestion proactif, ou un site Natura 2000 ou classé, censé empêcher en théorie les perturbations évidentes ou latentes.

La modification actuelle remet en cause fondamentalement la place de la gestion de la biodiversité dans ce programme sans proposer par ailleurs d’autres alternatives, alors que la Wallonie s’est officiellement engagée à respecter les Directives européennes « Oiseaux » et « Habitats » pour lesquelles le bilan est loin d’être positif avec de mauvais état de conservation pour la grande majorité des espèces et des biotopes et que l’administration a pris des engagements à long terme de gestion de surfaces importantes de sites restaurés dans le cadre de projets LIFE.

Il est assez consternant de voir un programme dont l’objectif devrait être d’améliorer les liens entre agriculture et environnement, de diminuer les impacts majeurs de l’agriculture intensive, de développer « sa capacité à fournir un éventail de services publics qui dépassent la simple production de denrées alimentaires » (Fiche technique du Parlement européen sur le Plier 2 de la PAC) et de contribuer significativement à la gestion de la biodiversité, risque d’entrainer finalement l’effet inverse.

Ces modifications sont suffisamment importantes pour mériter un véritable Rapport des Incidences Environnemental (RIE) au sens du Code wallon de l’Environnement auquel l’Evaluation Environnementale Stratégique soumise récemment à l’enquête publique ne peut se substituer.

Comment en est-on arrivé là ?

Ces modifications posent un réel problème de gouvernance car elles ne sont pas d’abord légitimées par des arguments objectifs qui démontreraient réellement les « effets d’aubaine » évoqués par certains acteurs de l’administration et les critères objectifs qui permettraient d’identifier clairement les cas problématiques. Si des problèmes réels existent sans doute, il ne faut pas que les règles mises en place impliquent des effets collatéraux significatifs sur acteurs qui font leur travail correctement.

De plus, les impacts multiples de cette combinaison de mesures délétères n’ont pas non plus été évalués, tant au point de vue économique pour les agriculteurs qu’au niveau de l’impact sur l’environnement et la biodiversité.

Les nouvelles contraintes proposées peuvent paraître logiques en première approximation mais, au sein de l’administration, il n’y a pas eu d’analyses ou de prise en compte des réels problèmes générés par ces propositions simplistes. La logique de fusionner en 2008 la Direction générale de l’Environnement et celle de l’Agriculture au sein de la Direction générale de l’Agriculture, des Ressource naturelles et de l’Environnement (DGARNE), avait notamment pour but d’éviter de continuer à opposer des visions contradictoires pour développer une vision commune intégrant les différents enjeux. Force est de constater que l’équilibre nécessaire n’a pas pu être trouvé.

Comment corriger les problèmes identifiés ?

Le contenu et l’agencement des différentes mesures doivent être revus rapidement pour éviter d’impacter de manière aussi significative les éleveurs plus ou moins extensifs. Vu les nombreuses différences entre les exploitations, il est difficile d’appliquer des règles générales sans effets collatéraux. Comme indiqué dans le rapport EcoGest du Centre Agronomique de Gembloux, il semble qu’on soit encore loin de se retrouver dans des situations de réels cumuls d’aides correspondant à des contraintes identiques. A partir du moment où individuellement les aides ne couvrent qu’une partie des compensations nécessaires, elles sont plutôt complémentaires.

Vu son rôle important et comme alternative plus opérationnelle à la nouvelle méthode de base 9 « Autonomie protéique », la MAE7 «Faible charge en bétail » qui vient d’être réactivée pour 2014 et 2015 devrait continuer à l’être au moins jusqu’à l’évaluation du PwDR à mi parcours.

Le ciblage de certaines mesures sur des zones prioritaires, matérialisées par la cartographie de la Structure Ecologique Principale (SEP), devrait être réactivé pour continuer de maximiser l’impact environnemental des investissements réalisés.

Plutôt que d’essayer de prévoir un montant maximum identique pour toutes les exploitations, il devrait aussi être possible de définir des montants spécifiques maxima d’aides par exploitation en fonction des situations écologiques observées sur le terrain, des pertes réelles liées au respect de contraintes ou des coûts liés à la mise en œuvre de mesures de gestion spécifiques. Différents partenaires spécialisés (CRAW, DEMNA, NATAGRIWAL, …) pourraient être mobilisés pour réaliser une analyse la plus précise et la plus objective possible pour proposer un plafond individuel répondant à la fois aux objectifs d’équilibre économique d’une exploitation et aux enjeux environnementaux, sociaux et de biodiversité. Cette mobilisation pourrait se faire à travers la méthode MC10 « Plan d’actions environnemental » lorsque les exploitations sont trop spécifiques pour répondre à des règles générales de plafond très limité par exemple. Elles devraient pouvoir y déroger dans le cadre d’une analyse détaillée.

Moutons dans les landes de Saint-HubertMoutons dans les landes d’un des projets LIFE de restauration de tourbières

L’impact du moratoire imposé depuis 2012 a déjà fragilisé certaines exploitations et a entrainé le désengagement pour de nombreuses MAE. Il est nécessaire de donner rapidement des orientations claires sur la stratégie qui sera mise en œuvre et des garanties de soutien adéquat jusqu’au moins à mi-parcours et en 2020.

Ce dossier démontre que la complexité et la diversité des systèmes de production agricole avec l’environnement sont telles actuellement, qu’il est nécessaire de concilier des approches complémentaires (MAE, conditionnalité agricole et les surfaces d’intérêt écologique, l’agriculture biologique, Natura 2000, projets de conservation de la nature, projets LIFE, Fonds de la Nature annoncé dans la Déclaration de politique régionale de 2009, …), de manière collective et transparente pour prendre en compte l’ensemble des enjeux individuels et collectifs.

Une partie de l’administration ne peut plus imposer sa vision particulière dans son coin lorsque la matière qu’elle gère impacte de nombreux secteurs différents. Les principaux acteurs concernés doivent être entendus, ils doivent être informés des systèmes de contraintes incompressibles, ils doivent prendre conscience des enjeux des uns et des autres et les dossiers doivent être gérés en toute transparence pour co-construire ensemble un système opérationnel qui n’exclut aucun opérateur important.

Enfin, le futur gouvernement wallon doit prendre conscience des enjeux économiques importants à la fois en termes de dépenses économisées sur le long terme et d’emplois créés ou maintenus par un investissement significatif pour diminuer l’impact de l’agriculture intensive sur l’environnement et pour assurer la gestion et la mise en valeur du patrimoine naturel. Le cadre budgétaire actuel est beaucoup trop strict par rapport aux enjeux de société à prendre en compte.

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Que penser de l’Evaluation Environnementale Stratégique du projet de Programme wallon de Développement Rural 2014-2020 ?

Marc Dufrêne1, Nicolas Dendoncker2, Olivier Guilitte6, Thierry Hance3, Anne-Laure Jacquemart4, Grégory Mahy1, Pierre Rasmont5,  Nicolas Schtickzelle3, Emmanuël Sérusiaux6 &  Hans Van Dyck3

1Université de Liège, Gembloux Agro Bio-Tech,2Université de Namur, Faculté des Sciences, Département de Géographie,3Université catholique de Louvain, Earth and Life Institute, Biodiversity Research Centre,4Université catholique de Louvain, Earth and Life Institute, Agronomy,5Université de Mons, Institut des Biosciences,6Université de Liège, Faculté des Sciences, Département des Sciences de la Vie

Préambule

Ce document est une contribution à l’enquête publique concernant l’analyse des incidences environnementales du projet de Plan wallon de Développement Rural (PwDR) pour la période 2014-2020. Le PwDR met en oeuvre le 2ème pilier de la Politique Agricole Commune pour développer la multifonctionnalité de l’agriculture (voir les éléments du débat).

La proposition actuelle modifie considérablement les liens entre l’agriculture, la biodiversité et l’environnement, allant dans le sens contraire de ce qui est règlementairement attendu par le 2ème pilier de la PAC (voir les réactions au projet de PwDR et la carte blanche initiale).

L’étude d’incidence ignore complètement les impacts multiples des modifications proposées pour les Mesures Agro Environnementales (MAE) et l’Agriculture biologique. Elle reconnait elle-même qu’elle n’a pas pu disposer des moyens nécessaires.

Une enquête publique qui rate nettement son objectif

Qui est donc capable d’avoir un avis sur les 105 pages de l’Evaluation Environnementale Stratégique (EES) qui est censée évaluer les conséquences environnementales des 382 pages du projet de Programme wallon de Développement Rural 2014-2020 (PwDR) tels que ces deux documents sont présentés ?

On peut réellement se poser la question de l’intérêt d’une telle enquête publique pour des documents aussi techniques, où des problèmes majeurs peuvent se cacher derrière une phrase anodine. Vu la complexité extrême de ce dossier, sans guide ou aide pour évaluer ce qui va changer par rapport à la période 2007-2013, il est pratiquement impossible d’identifier et de mesurer correctement les conséquences des modifications qui sont proposées.

De plus, d’un point vue purement formel (cf. publication officielle au Moniteur belge du 4/3/2014 ou le formulaire de réponse), on s’étonnera que l’appellation de l’ESS ne suit pas celle imposée par le code de l’environnement (article D56) à savoir, un Rapport sur les Incidences Environnementales (RIE) et de manière plus inquiétante que l’enquête publique ne porte que sur ce qui est présenté comme le rapport d’incidence, alors que l’article D57 du même code précise que «  le projet de plan ou de programme ainsi que le rapport sur les incidences environnementales sont envoyés par l’auteur du plan ou du programme au collège communal de chaque commune concernée par les incidences environnementales du projet de plan ou de programme et sur le territoire de laquelle une enquête publique doit être organisée ». On notera dès lors que d’un point de vue strictement légal, le projet de PwDR proprement dit n’aura pas été soumis à l’enquête publique.

Enfin, le projet de PwDR qui est fourni comme une annexe pour tenter de mieux comprendre le RIE, contient aussi des points non encore rédigés ou dont la cohérence n’a visiblement pas pu être vérifiée, trahissant une préparation et une analyse largement insuffisante et une finalisation dans la précipitation.

Un déficit important d’informations masquant les conséquences réelles des modifications du PwDR 2007-2013 sur l’environnement

L’analyse qui suit porte principalement sur les mesures 10 (Paiements agro-environnementaux) et 11 (Agriculture biologique).

Nous ne pouvons que constater que l’EES soumise à enquête publique ne contient aucune information permettant :

  • d’identifier les modifications globales de l’architecture du programme, la disparition ou la modification de certaines méthodes parmi ces mesures,
  • de comprendre les raisons objectives justifiant ces modifications,
  • de mesurer la réalité et la nature des bénéfices escomptés,
  • d’identifier les catégories d’agriculteurs les plus impactés financièrement et dans leur choix stratégique d’exploitation (impact sur des profils types),
  • d’analyser les impacts croisés des différentes modifications ponctuelles proposées,
  • d’évaluer les risques sur la perte de confiance globale et sur l’adhésion aux nouvelles Méthodes Agro-Environnementales et Climatiques, accentuant l’effet déjà assez catastrophique du moratoire imposé depuis deux ans (entre -15 et -20% d’adhésion voire plus, aucune statistique sur ces chiffres n’ayant d’ailleurs été présentée),
  • d’estimer l’impact sur le maintien des anciennes MAE mises en place parfois depuis longtemps sur le terrain, qui produisent pleinement leurs effets et qui représentent un investissement significatif de la part de la communauté dans le capital naturel,
  • d’évaluer l’impact sur l’objectif prioritaire environnemental du PwDR concernant la qualité de l’eau, l’érosion des sols, les pertes de stockage de carbone dans les sols et la biodiversité si des surfaces significatives continuent de disparaître,
  •  de mesurer dans quelle mesure ce nouveau PwDR promeut effectivement le développement d’une agriculture durable et respecte les différentes autres obligations légales qui s’imposent à la Wallonie.

L’Evaluation Environnementale Stratégique réalisé par « Bio by Deloitte » reste extrêmement générale et très largement lacunaire. C’est le cas en particulier pour le chapitre des liens avec les autres plans (point 3.2.4 de l’EES) qui ne cite pas :

  • la PAC et en particulier les mesures du 1er pilier qui vont fortement interagir avec le 2ème pilier comme la conditionnalité ou les surfaces d’intérêt écologique (SIE) ;
  • également au niveau européen, la convention européenne des paysages ;
  • au niveau belge, la nouvelle stratégie nationale de la diversité biologique;
  • au niveau régional wallon, le Code de l’agriculture, le Schéma de Développement de l’Espace Régional (SDER) et le Plan d’Environnement pour le Développement Durable (PEDD).

Les liens entre ces plans avec ce qui reste encore un projet de PwDR ne sont pas mis en évidence, ce qui ne permet pas d’évaluer les contraintes ou synergies contextuelles qui s’appliquent à ce programme.

Les chapitres 6 et 7 se limitent à évaluer l’impact du projet de PwDR par rapport à une situation sans le programme appelée « option nulle » (EES, page 11). Or, c’est loin d’être le cas puisque la Wallonie disposait d’une très large adhésion et mobilisation des agriculteurs, à l’origine d’ailleurs d’un dépassement budgétaire qui est apparemment utilisé pour justifier les propositions de modifications fondamentales pour les mesures 10 (MAEC) et 11 (Bio).

Plus fondamentalement, l’évaluation ne fait aucune mention de l’impact, par exemple, de réduction ou de suppression de mesures, de modifications de plafond (MAEC) ou de seuils (MAEC, Bio) à atteindre pour pouvoir bénéficier des aides, de l’introduction de règles de dégressivité de certaines aides, du remplacement apparent de la méthode MAE7« faible charge » en MB9 « autonomie protéique » qui est complètement différente et des effets cumulatifs de ces différentes nouvelles contraintes. Cette partie de l’analyse est pourtant essentielle pour évaluer les effets notables probables sur l’environnement tels que stipulé dans l’annexe 1 de la Directive 2001/42/CE relative à relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement. De plus, l’EES reconnaît par ailleurs n’avoir pas disposé du temps nécessaire pour évaluer les effets synergiques et cumulatifs du projet de PWDR, contrairement à ce qu’exige l’annexe 1 de cette directive.

Il est clair que si cette évaluation ne répond pas aux objectifs de la Directive 2001/42/CE, elle ne répond pas non plus aux attentes de la Partie V du Code wallon de l’Environnement concernant les évaluations des incidences sur l’environnement, à laquelle l’étude se réfère pourtant (EES, page 10), en particulier l’Art. D56 qui définit le contenu de l’étude d’incidence.

Tout nouveau programme ou ses modifications (Art. D53) doit pouvoir en évaluer « les incidences non négligeables probables, à savoir les effets secondaires, cumulatifs, synergiques, à court, à moyen et à long terme, permanents et temporaires, tant positifs que négatifs, sur l’environnement, y compris sur des thèmes comme la diversité biologique, la population, la santé humaine, la faune, la flore, les sols, les eaux, l’air, les facteurs climatiques, les biens matériels, le patrimoine culturel, y compris le patrimoine architectural et archéologique, les paysages et les interactions entre ces facteurs; » (Art. D56, §3, 6°). Il est pourtant évident qu’à partir du moment où les modifications proposées empêchent la toute grande majorité des gestionnaires actuels des zones protégées de continuer à assurer leur mission et qu’elles risquent de provoquer un abandon de zones bénéficiant actuellement d’une gestion différenciée comme par exemple les bandes enherbées en bord de cours d’eau, l’évaluation stratégique réalisée par le bureau « Bio by Deloitte » manque son objectif principal.

zones aménagées

Figure 1. Exemple de zone en bord de cours d’eau en grandes cultures qui assure une large diversité de services pour l’environnement et la biodiversité en diminuant l’impact de l’agriculture intensive

Cette évaluation ne répond pas non plus aux obligations de l’article 29 de la loi du 12 juillet 1973 sur la conservation de la nature qui impose d’évaluer les incidences sur les sites Natura 2000 mais aussi sur les objectifs de conservation comme elle ne permet pas d’identifier les menaces sur les espèces protégés ou les engagements de la Wallonie d’assurer la gestion à long terme dans les projets LIFE. De plus, les zones agricoles à haute valeur naturelle de Wallonie, qui étaient identifiées à travers le concept de la Structure Ecologique Principale (SEP) et qui bénéficiaient d’un financement complémentaire de 20% pour certaines MAE, sont ignorées dans la proposition de PwDR alors que c’est l’une des priorités visées par l’art. 5 du règlement 1305/2013/CE.

Enfin, on peut aussi s’interroger sur le respect de l’obligation de « standstill » déduite de l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution belge assurant la protection d’un environnement sain. Cette obligation impose à l’autorité publique le maintien d’un niveau de protection au moins équivalent à celui assuré par la norme faisant l’objet d’une révision, à moins de justifier de motifs d’intérêt général.

Des conclusions de l’EES irrecevables

Nous ne pouvons que contester la conclusion du rapport qui indique : « Sous réserve de l’intégration des recommandations du rapport, qui portent principalement sur les actions permettant d’améliorer la diversité biologique, la qualité des eaux et des sols, et des conditions opérationnelles de mise en pratique des mesure, il ne devrait pas entrainer d’incidence négative sur l’environnement,et devrait avoir des incidences positives celui-ci» (EES, page 9).

Les recommandations proposées pour les mesures 10 (MAEC) et 11 (Bio) restent très générales (EES, pages 92-94) car aucune évaluation détaillée de changements proposés déjà évoqués n’a été effectuée. Aucune évaluation de l’adéquation des propositions du projet de PwDR avec les forces, les faiblesses, les opportunités et les menaces pourtant bien identifiées dans l’analyse SWOT (PwDR, pages 24 à 37) n’a pas non plus été réalisée en particuleir pour la priorité 4 « restaurer, préserver et renforcer les écosystèmes liés à l’agriculture et à la foresterie ». Elle aurait pourtant révélé un risque important de renforcement des menaces et des faiblesses et une diminution des forces et des opportunités.

L’EES indique d’ailleurs (page 8) que « Il est important de noter que l’évaluation des incidences sur l’environnement des différentes mesures du PwDR a été réalisée sur la base des informations mentionnées dans le PwDR, qui ne permettent pas une analyse précise des incidences sur l’environnement » et qu’il n’a pas été possible pour les évaluateurs « d’intégrer des consultations en direct des parties prenantes, de procéder à des modélisations (par exemple impacts cumulatifs et/ou synergiques de mesures sur des zones proches des zones Natura 2000 ou pour les dispositifs des mesures agro environnementales) et de fonctionner en dispositif itératif ».

Dans ces conditions, les évaluateurs auraient simplement dû constater l’impossibilité de rendre un avis pertinent qui engage leur indépendance et la qualité de leur travail. Cette absence de contrôle explique probablement les dérives actuelles observées dans le projet de PwDR.

En conséquence, nous demandons qu’avant toute modification aussi fondamentale du programme actuel, que :

  1. les modifications apportées pour les nouvelles mesures 10 (MAEC) et 11 (Bio) par rapport à la programmation précédente soient d’abord clairement identifiées,
  2. un bilan détaillé et une prospective, à la fois statistique et budgétaire, soient réalisés pour chacune des mesures et des méthodes concernées,
  3. les problèmes éventuels soient identifiés en toute transparence pour éviter les explications « adhoc », la mise en exergue de cas exceptionnels et de problèmes mineurs,
  4. les impacts individuel et cumulatif, primaires et secondaires, des modifications soient évalués à la fois pour les agriculteurs mais aussi pour l’environnement et la biodiversité, compte tenu de la capitalisation environnementale réalisée depuis des années. Cette modélisation devrait idéalement couvrir l’ensemble des composantes de la PAC : 1er Pilier (évolutions des DPU et verdissement) et 2ème Pilier.
  5. les nouvelles règles de calcul pénalisantes utilisées, pour définir les montants allouables en cas de possibilité de cumul entre méthodes et mesures soient étayées et justifiées,
  6. l’efficience réelle de l’ensemble des modifications soit démontrée, c’est-à-dire qu’on évalue dans quelle mesure les solutions proposées corrigent réellement les problèmes constatés et évitent surtout de générer des problèmes collatéraux importants.
Fgane Massa

Figure 2. Exemple de zones protégées dont la gestion est assurée par des agriculteurs grâce à la complémentarité des différentes aides disponibles dans le 2ème pilier de  la Politique Agricole Commune

Si certaines propositions de modifications devaient être confirmées car des alternatives sont prévues, il est indispensable d’avoir une décision politique préalable définitive sur ces alternatives avant de statuer sur le PwDR. C’est par exemple le cas évoqué d’une prise en charge des enjeux de gestion des zones protégées par les budgets de la conservation de la nature (100% par la Wallonie alors que les MAEC sont co-financées à 40% par le FEADER) ou d’un transfert de Méthodes Agro-Environnementales comme Surface d’Intérêt Ecologique relevant du 1er Pilier de la PAC. Tant que ces décisions ne sont pas prises, il est indispensable de maintenir les mesures actuelles dans le PwDR.

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Les enjeux de la Politique Agricole Commune en Wallonie : une volonté de découpler agriculture et nature ?

Carte blanche dans Le Soir du vendredi 14 mars 2014

Professeurs  A.-L. Jacquemart (UCL), N. Dendoncker (UNamur), M. Dufrêne (ULG-Gembloux Agro-Bio Tech), O. Guillitte (ULG), T. Hance (UCL), G. Mahy (ULG-Gembloux Agro-Bio Tech), P. Rasmont (UMons), N. Schtickzelle (UCL), E. Sérusiaux (ULG) et H. Van Dyck (UCL)

La Politique Agricole Commune (PAC) a significativement évolué depuis sa mise en place en 1962 et comprend aujourd’hui deux grands piliers : le premier porte sur les aides directes à l’activité agricole et à la commercialisation des produits (aides maintenant liées au respect de conditions d’exploitation et partiellement découplées de la production) ; le deuxième est consacré au développement rural, au travers notamment de mesures d’encouragement à la protection de l’environnement et de la biodiversité.

La mise en œuvre du 1e pilier pour la nouvelle période de programmation 2015-2020 a fait l’objet d’un accord entre le Ministre C. Di Antonio, en charge de cette compétence en Wallonie, et les syndicats agricoles au début de cette année. Dès lors que le Règlement européen a assoupli les marges de manœuvre laissées aux Etats-Membres, des ajustements peuvent être effectués dans chaque pays. C’est le cas, et l’accord prévoit les termes de la répartition de près de 2 milliards d’Euros pour la période 2015-2020[1].

Le 2ème  pilier porte donc sur le développement rural et sous-tend le rôle multifonctionnel de l’agriculture, un modèle auquel nos concitoyens adhèrent et que nous soutenons explicitement. Comme le prévoit le futur Code wallon de l’agriculture[2], notre agriculture doit être « […] familiale et diversifiée, […] encourager l’emploi dans le monde agricole et améliorer la qualité de vie des agriculteurs, et être respectueuse de l’environnement et des hommes ». Parmi les objectifs clairement affichés, figure la préservation de l’environnent, de la biodiversité et des paysages.

C’est là que la situation actuelle est particulièrement délicate, voire inquiétante, car l’instrument de « mise en exécution » du 2ème pilier, le Programme de Développement Rural (PDR), actuellement en fabrication en Wallonie,  modifie fondamentalement le réseau de liens qui associent ces différents objectifs. La version en préparation propose des mécanismes d’aide contradictoires, en opposition flagrante avec le modèle.

Highlands à Wihonfagne

Figure 1. De nombreuses réserves naturelles sont pâturées par des bovins ou des moutons rustiques sur les landes et toubières des hauts-plateaux ardennais, dans les prairies humides alluviales ou sur les pelouses calcaires grâce à des agriculteurs qui se sont parfois spécialisés dans ce domaine. Les modifications des mesures agri-environnentales (MAE) mettent clairement en péril ces exploitations agricoles comme elles remettent en cause les engagements de la Wallonie pour assurer la gestion des zones restaurées par les projets européens de restauration LIFE.

L’Europe, et la Wallonie plus particulièrement, jouissent d’une agriculture qui a façonné des paysages très appréciés et hébergeant une quantité de nature tout à fait exceptionnelle, dont les prairies peu amendées et les pâturages non intensifs sont le meilleur exemple. Ces zones sont prises en charge par le PDR à travers le financement des Mesures Agri-Environnementales (MAE) et de collaborations plus discrètes mais très efficaces entre les gestionnaires de réserves naturelles et les agriculteurs. Des surfaces importantes de sites de grand intérêt biologique de Wallonie bénéficient de l’aide d’agriculteurs pour assurer un fauchage ou un pâturage périodique, et donc la gestion appropriée dont ces surfaces ont besoin pour maintenir leur niveau de biodiversité.

Par ailleurs, si l’avènement de l’agriculture industrielle, au sortir de la dernière guerre, a permis d’assurer l’autonomie alimentaire, elle a engendré toute une série de problèmes. Avec le gigantisme des machines agricoles, l’utilisation massive d’engrais chimiques et de pesticides, ou les remembrements dévastateurs, les défis de pollution de l’eau potable, d’érosion des sols et de coulées boueuses, de régressions et de disparitions d’espèces sauvages sont majeurs et nécessitent des actions urgentes et concertées. La diminution de cet impact environnemental implique à la fois d’adapter les méthodes culturales mais également de restaurer une infrastructure verte régulatrice comme les haies, les bandes boisées et enherbées, … Ces mesures dépendent aussi des MAE.

MAE Bords E411

Figure 2. Le rôle des mesures agri-environnementales (MAE) dans les paysages agricoles intensifs est essentiel, notamment pour l’amélioration de la qualité de l’eau, le contrôle de l’érosion, le stockage de carbone dans les sols et à la création de bandes favorables aux insectes pollinisateurs, aux régulateurs de pestes des cultures ainsi qu’à la petite faune sauvage. La vue de gauche montre une MAE qui maximise ces services écosystémiques alors qu’à droite le cours d’eau se limite à un simple fossé.

Au travers de quelques modifications, en apparence mineures, le PDR, en cours de préparation et les nouveaux formulaires récemment envoyés aux agriculteurs, détricotent le modèle, rendant l’interaction entre agriculture, environnement, biodiversité et paysages plus difficile, et en tout cas non ou difficilement finançable. Le diable est bien dans les détails ; voici notamment de quoi il s’agit :

  • Révision de critères de charge minimale en bétail excluant les gestionnaires les plus extensifs et donc les plus favorables à la biodiversité ;
  • Révision des possibilités de cumul d’aides pénalisant les agriculteurs les plus impliqués dans la gestion des milieux naturels; exclusion du bénéfice de primes du premier pilier pour ces mêmes agriculteurs ;
  • Introduction d’un plafond par exploitation pénalisant les agriculteurs fortement impliqués dans le programme MAE et dans la gestion de grandes superficies de haute valeur biologique.

C’est donc bien le modèle agricole auquel chacune et chacun d’entre nous tient, y compris une majorité d’agriculteurs[3], qui est en danger. Alors que les mesures qui sous-tendent ce modèle coûtent finalement fort peu et qu’elles permettent de garantir le revenu de familles d’agriculteurs qui ont pris le risque d’explorer de nouveaux modes de gestion, de diversifier leurs revenus et de diminuer leur impact sur l’environnement. Nous appelons donc à une réévaluation rapide du Programme de Développement Rural que le Gouvernement Wallon s’apprête à soumettre à la Commission Européenne. Avant que ces règles n’écartèlent radicalement les liens qui subsistent entre l’agriculture et les femmes et les hommes qui la pratiquent d’un côté et l’environnement, la nature, les paysages et les citoyens qui en bénéficient de l’autre.

 

Version 2014 du SDER

Schéma de Développement de l’Espace Régional (SDER) : Quelle biodiversité dans les paysages wallons en 2020 ?

Enquête publique du SDER – janvier 2014

Marc Dufrêne1, Nicolas Dendoncker2, Thierry Hance3, Anne-Laure Jacquemart4, Grégory Mahy1, Pierre Rasmont5,  Nicolas Schtickzelle3, Emmanuël Sérusiaux6 &  Hans Van Dyck3

1Université de Liège, Gembloux Agro Bio-Tech,2Université de Namur, Faculté des Sciences, Département de Géographie,3Université catholique de Louvain, Earth and Life Institute, Biodiversity Research Centre,4Université catholique de Louvain, Earth and Life Institute, Agronomy,5Université de Mons, Institut des Biosciences,6Université de Liège, Faculté des Sciences, Département des Sciences de la Vie

C’est en 1912 que le Professeur Jean Massart de l’ULB publiait un premier inventaire des sites de grand intérêt scientifique en Belgique dans son livre intitulé « Pour la Conservation de la Nature ». Il y proposait de créer des réserves de grandes étendues appelées « parcs naturels » dont la taille devait être suffisante pour que les conditions d’existence ne soient pas modifiées par les activités humaines. Là où la pression de ces activités était intense, il proposait la protection de sites de dimensions plus modestes de manière à conserver localement des stations représentatives de la faune et de la flore naturelle ou à conserver des populations d’espèces rares. Un texte d’une étonnante modernité. Car ce n’est qu’en 1957 que la première zone protégée a vu le jour en Wallonie et plus de 100 ans après, la surface des zones protégées par un statut de la Loi de la Conservation de la Nature (1973) ne dépasse pas 13.000 ha, soit à peine 0.75% du territoire wallon. La Wallonie peut être considérée comme la lanterne rouge des régions européennes voisines. En Flandre, alors que la densité de la population et les pressions foncières sont très importantes, la surface des zones similaires dépassait 33.000 ha en 2010, soit près de 2,5% du territoire (Figure 1). En général, on estime qu’il faudrait idéalement atteindre de l’ordre de 5% du territoire avec un statut de protection significatif, intégrant des réserves naturelles (3%) à d’autres formes de protection (2%) [1].

SDER Figure 2

Figure 1. Evolution des surfaces des zones protégées en Wallonie et en Flandre à gauche et taux de création annuel de zones protégées en Wallonie à droite. Après une accélération jusqu’en 2000 pour atteindre 500 ha/an, le taux de création de zones protégées a diminué de plus de moitié. L’année 2013 révèle une augmentation remarquable que le SDER doit soutenir.

Les conséquences de cette situation sont multiples. Tous groupes confondus, 31 % des espèces animales et végétales étudiées sont menacées de disparition à l’échelle de la Wallonie et près de 9% ont déjà disparu [2]. Comme de nombreux biotopes naturels occupant des zones très sensibles incompatibles avec des activités de production sont trop fragmentés et perturbés, ils ne peuvent assurer des services écosystémiques de support comme les cycles de nutriment, la formation des sols, … et des services de régulation comme la protection de l’érosion et des inondations, l’amélioration de la qualité de l’eau, le stockage de carbone ou la pollinisation et le contrôle biologique (Figure 2).

SDER Figure 3

Figure 2. Fond de vallée restauré dans le cadre d’un projet LIFE (Moule perlière) qui, depuis l’élimination des plantations résineuses en bord du cours d’eau, assure maintenant une large diversité de services écosystémiques de régulation des inondations et de la qualité de l’eau, offre de larges possibilités de valorisation d’activités de randonnées et de découverte de la nature et abrite une biodiversité remarquable. En dédiant ainsi une petite partie du territoire aux processus écologiques, on assure une large diversité de fonctions, on facilite la mise en œuvre de nombreuses obligations européennes et on améliore la coexistence des activités sur le territoire et la cohésion sociale locale.

Alors qu’il y a une demande forte de développement d’un tourisme vert à haute valeur ajoutée et de contacts multiples avec la nature, il n’y a que très peu de zones offrant un accueil adéquat avec des aménagements assurant leur mise en valeur sociale et culturelle.  Au lieu de considérer ces services écosystémiques comme des contraintes, il faut les voir comme de réelles opportunités de développement. Malgré un dynamisme local important d’acteurs de terrain (administrations, ONG, Parcs naturels, Contrats de rivières, …), il manque une réelle stratégie régionale et d’une structure assurant la coordination efficace des activités de protection et de gestion des espaces protégés.

SDER Figure 3 carte SEP N2K et SGIB

Figure 3. Structure écologique principale comprenant actuellement les sites Natura 2000, les SGIB hors réseau Natura 2000 ainsi que les zones candidates au réseau Natura 2000 en 2002.

De manière à répondre à ces enjeux, le Schéma de Développement de l’Espace Régional (SDER) de 1999 proposait d’augmenter les zones protégées prioritairement par l’acquisition, la protection et la gestion de sites considérés comme étant de très grand intérêt biologique (SGIB) sur la base d’inventaires scientifiques coordonnés par le Département d’Etudes du Milieu Naturel et Agricole (SPW/DGARNE). Ces sites, qui représentent de l’ordre de 60.000 ha, forment le cœur de la Structure Ecologique Principale (SEP) qui a pour but de rassembler dans un contour cohérent l’ensemble des zones du territoire ayant un intérêt biologique actuel ou potentiel pour maximiser à la fois la protection de la biodiversité et la restauration des services écosystémiques (Figure 3).

Cette ambition se concrétise dans la Déclaration de Politique Régionale de 2009 (page 108-110)avec un objectif d’au moins doubler la surface des réserves naturelles (11.000 ha fin 2008), pour atteindre de l’ordre de 22.000 ha en 2014. Avec une extension depuis 2009 des zones protégées d’un peu moins de 2.000 ha, on est loin de l’objectif initial, même si on tente d’y ajouter environ 5.000 ha de réserves intégrales feuillues définies déjà en 2008 par le Code forestier mais dont la cohérence des contours n’a toujours pas pu être validée.

La révision du SDER s’annonçait ambitieuse puisque les propositions d’objectifs approuvées fin juin 2012 par le Gouvernement wallon prévoyaient de protéger 27.000 ha de SGIB non couverts par un statut de protection. Pour ce faire, le nouveau SDER promettait de contribuer à l’horizon 2020 à la protection de la SEP et des SGIB et de se doter des moyens pour en assurer la gestion. Ce premier objectif visant les parties les plus remarquables du patrimoine naturel était complété par la notion de trame verte et bleue où la préservation de la biodiversité doit s’accorder de manière équilibrée avec les conditions du développement des activités humaines, y compris agricoles, notamment de manière à restaurer les services écosystémiques.

Cuivré de la bistorte - Lycaena helle

Figure 4. Le Cuivré de la bistorte (Lycaena helle) est un exemple d’espèce pour laquelle la Wallonie a une véritable responsabilité pour sa conservation. Cette espèce rare et menacée à l’échelle européenne, concernée par la mise en œuvre du réseau Natura 2000, occupe encore en Wallonie de nombreuses prairies humides dans les fonds des vallées ardennaises. Moins de 20% des populations bénéficient d’un statut de protection adéquat ou d’une gestion adaptée (mesures agri-environnementales) alors qu’elles bénéficieraient largement des restaurations d’une infrastructure écologique minimale pour restaurer les services écosystémiques (cfr. Figure 2).

La version soumise à l’enquête publique se révèle complètement amputée de l’objectif de restaurer une SEP  fonctionnelle. Le premier objectif se limite à l’engagement de protéger et de gérer les « SGIB reconnus », appellation particulièrement ambigüe, car elle est définie dans le SDER comme les sites déjà protégés par un statut de la Loi de la Conservation de la Nature. La Wallonie s’engage donc courageusement d’ici 2020 à continuer de protéger un peu moins de 13.000 ha qui sont déjà protégés. Les 27.000 ha de SGIB non couverts par un statut de conservation évoqués dans les objectifs de 2012 approuvés par le Gouvernement wallon ont totalement disparu. Seule la notion floue de trame verte et bleue, sans engagement concret, est maintenue. Cette modification de dernière minute rend le SDER totalement incohérent et inutile pour l’ensemble du volet « biodiversité » alors que la restauration du fonctionnement des écosystèmes devrait être une priorité en Wallonie, comme elle l’est en Europe (premier objectif du 7ème  Programme d’Actions pour l’Environnement). Elle est d’autant plus incompréhensible que plus de 1.100 ha de zones protégées ont été désignés cette année alors que plusieurs moyens d’actions définis dans la DPR comme le droit de préemption, le Fonds Nature ou la Task Force interministérielle ne sont pas encore opérationnels ou que l’utilisation des sources existantes de financement européen comme le Plan de Développement Rural n’a pas été efficiente.

Nous appelons le Gouvernement wallon, et en particulier le Ministre qui a la Nature dans ses attributions, à reprendre l’objectif initial de protection et de restauration des SGIB non protégés au sein de la SEP comme axe prioritaire des actions « biodiversité ». Cela implique que les périmètres continuent d’être validés sur la base de critères scientifiques, que les enjeux socio-économiques soient identifiés et que des zones d’actions prioritaires maximisant les enjeux de biodiversité et de services écosystémiques soient définies. Les moyens d’actions prévus dans la DPR de 2009  cités ci-dessus doivent être mis en œuvre et complétés notamment par un développement optimal de l’usage des sources de financement européen et une mobilisation coordonnée des différents acteurs concernés sur le terrain. Comme le reconnaissait déjà la DPR, la « biodiversité » est un domaine transversal dont la gestion  devrait être associée aux thématiques de « l’environnement » et de « l’eau » dans un Département transversal pour une action territoriale concertée.

SDER Figure 5

Figure 5. Les sites protégés comme la Réserve Naturelle des Hautes-Fagnes représente un capital naturel qui doit être protégé mais aussi partagé et valorisé pour reconstruire les liens avec la nature (voir le Méta-projet de restauration des tourbières en Wallonie)

La protection, la gestion et la restauration du patrimoine naturel de l’Europe est le premier des neufs objectifs du 7ème  Programme d’Actions pour l’Environnement à l’horizon 2020  pour contribuer à la stratégie de croissance « Europe 2020 ». Cette volonté se traduit par la Stratégie européenne 2020 pour la Biodiversité et par la Stratégie de développement de l’infrastructure verte régulatrice. D’importants moyens de financement européen sont potentiellement disponibles à travers le Fonds  Européen de Développement Régional, le Plan de Développement Rural, les projets LIFE+, … pour restaurer le capital naturel wallon et en particulier une infrastructure verte efficiente.  Le SDER doit faciliter la traduction de ces orientations stratégiques en Wallonie pour permettre la mobilisation de ces opportunités de financement à la fois génératrices d’emploi, d’un développement territorial équilibré et d’une meilleure qualité de vie en général.

Plus de cent ans après le premier appel de Jean Massart, les objectifs ont évolué mais la nécessité de réserver une petite partie du territoire à la biodiversité et aux processus écologiques régulateurs reste une priorité.

Contact :

Prof. Marc Dufrêne

Université de Liège Gembloux Agro-Bio Tech

Unité Biodiversité et Paysage

Passage des Déportés, 2

B-5030 Gembloux

Marc.Dufrene@ulg.ac.be

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[1] C’est le cas en Flandre avec un objectif de 70.000 ha dans le plan MINA 4. http://www.nara.be

[2] Indicateurs clés de l’environnement wallon 2012. http://etat.environnement.wallon.be