Marc Dufrêne1, Nicolas Dendoncker2, Olivier Guilitte6, Thierry Hance3, Anne-Laure Jacquemart4, Grégory Mahy1, Pierre Rasmont5, Nicolas Schtickzelle3, Emmanuël Sérusiaux6 & Hans Van Dyck3
1Université de Liège, Gembloux Agro Bio-Tech,2Université de Namur, Faculté des Sciences, Département de Géographie,3Université catholique de Louvain, Earth and Life Institute, Biodiversity Research Centre,4Université catholique de Louvain, Earth and Life Institute, Agronomy,5Université de Mons, Institut des Biosciences,6Université de Liège, Faculté des Sciences, Département des Sciences de la Vie
Préambule
Ce document est une contribution à l’enquête publique concernant l’analyse des incidences environnementales du projet de Plan wallon de Développement Rural (PwDR) pour la période 2014-2020. Le PwDR met en oeuvre le 2ème pilier de la Politique Agricole Commune pour développer la multifonctionnalité de l’agriculture (voir les éléments du débat).
La proposition actuelle modifie considérablement les liens entre l’agriculture, la biodiversité et l’environnement, allant dans le sens contraire de ce qui est règlementairement attendu par le 2ème pilier de la PAC (voir les réactions au projet de PwDR et la carte blanche initiale).
L’étude d’incidence ignore complètement les impacts multiples des modifications proposées pour les Mesures Agro Environnementales (MAE) et l’Agriculture biologique. Elle reconnait elle-même qu’elle n’a pas pu disposer des moyens nécessaires.
Une enquête publique qui rate nettement son objectif
Qui est donc capable d’avoir un avis sur les 105 pages de l’Evaluation Environnementale Stratégique (EES) qui est censée évaluer les conséquences environnementales des 382 pages du projet de Programme wallon de Développement Rural 2014-2020 (PwDR) tels que ces deux documents sont présentés ?
On peut réellement se poser la question de l’intérêt d’une telle enquête publique pour des documents aussi techniques, où des problèmes majeurs peuvent se cacher derrière une phrase anodine. Vu la complexité extrême de ce dossier, sans guide ou aide pour évaluer ce qui va changer par rapport à la période 2007-2013, il est pratiquement impossible d’identifier et de mesurer correctement les conséquences des modifications qui sont proposées.
De plus, d’un point vue purement formel (cf. publication officielle au Moniteur belge du 4/3/2014 ou le formulaire de réponse), on s’étonnera que l’appellation de l’ESS ne suit pas celle imposée par le code de l’environnement (article D56) à savoir, un Rapport sur les Incidences Environnementales (RIE) et de manière plus inquiétante que l’enquête publique ne porte que sur ce qui est présenté comme le rapport d’incidence, alors que l’article D57 du même code précise que « le projet de plan ou de programme ainsi que le rapport sur les incidences environnementales sont envoyés par l’auteur du plan ou du programme au collège communal de chaque commune concernée par les incidences environnementales du projet de plan ou de programme et sur le territoire de laquelle une enquête publique doit être organisée ». On notera dès lors que d’un point de vue strictement légal, le projet de PwDR proprement dit n’aura pas été soumis à l’enquête publique.
Enfin, le projet de PwDR qui est fourni comme une annexe pour tenter de mieux comprendre le RIE, contient aussi des points non encore rédigés ou dont la cohérence n’a visiblement pas pu être vérifiée, trahissant une préparation et une analyse largement insuffisante et une finalisation dans la précipitation.
Un déficit important d’informations masquant les conséquences réelles des modifications du PwDR 2007-2013 sur l’environnement
L’analyse qui suit porte principalement sur les mesures 10 (Paiements agro-environnementaux) et 11 (Agriculture biologique).
Nous ne pouvons que constater que l’EES soumise à enquête publique ne contient aucune information permettant :
- d’identifier les modifications globales de l’architecture du programme, la disparition ou la modification de certaines méthodes parmi ces mesures,
- de comprendre les raisons objectives justifiant ces modifications,
- de mesurer la réalité et la nature des bénéfices escomptés,
- d’identifier les catégories d’agriculteurs les plus impactés financièrement et dans leur choix stratégique d’exploitation (impact sur des profils types),
- d’analyser les impacts croisés des différentes modifications ponctuelles proposées,
- d’évaluer les risques sur la perte de confiance globale et sur l’adhésion aux nouvelles Méthodes Agro-Environnementales et Climatiques, accentuant l’effet déjà assez catastrophique du moratoire imposé depuis deux ans (entre -15 et -20% d’adhésion voire plus, aucune statistique sur ces chiffres n’ayant d’ailleurs été présentée),
- d’estimer l’impact sur le maintien des anciennes MAE mises en place parfois depuis longtemps sur le terrain, qui produisent pleinement leurs effets et qui représentent un investissement significatif de la part de la communauté dans le capital naturel,
- d’évaluer l’impact sur l’objectif prioritaire environnemental du PwDR concernant la qualité de l’eau, l’érosion des sols, les pertes de stockage de carbone dans les sols et la biodiversité si des surfaces significatives continuent de disparaître,
- de mesurer dans quelle mesure ce nouveau PwDR promeut effectivement le développement d’une agriculture durable et respecte les différentes autres obligations légales qui s’imposent à la Wallonie.
L’Evaluation Environnementale Stratégique réalisé par « Bio by Deloitte » reste extrêmement générale et très largement lacunaire. C’est le cas en particulier pour le chapitre des liens avec les autres plans (point 3.2.4 de l’EES) qui ne cite pas :
- la PAC et en particulier les mesures du 1er pilier qui vont fortement interagir avec le 2ème pilier comme la conditionnalité ou les surfaces d’intérêt écologique (SIE) ;
- également au niveau européen, la convention européenne des paysages ;
- au niveau belge, la nouvelle stratégie nationale de la diversité biologique;
- au niveau régional wallon, le Code de l’agriculture, le Schéma de Développement de l’Espace Régional (SDER) et le Plan d’Environnement pour le Développement Durable (PEDD).
Les liens entre ces plans avec ce qui reste encore un projet de PwDR ne sont pas mis en évidence, ce qui ne permet pas d’évaluer les contraintes ou synergies contextuelles qui s’appliquent à ce programme.
Les chapitres 6 et 7 se limitent à évaluer l’impact du projet de PwDR par rapport à une situation sans le programme appelée « option nulle » (EES, page 11). Or, c’est loin d’être le cas puisque la Wallonie disposait d’une très large adhésion et mobilisation des agriculteurs, à l’origine d’ailleurs d’un dépassement budgétaire qui est apparemment utilisé pour justifier les propositions de modifications fondamentales pour les mesures 10 (MAEC) et 11 (Bio).
Plus fondamentalement, l’évaluation ne fait aucune mention de l’impact, par exemple, de réduction ou de suppression de mesures, de modifications de plafond (MAEC) ou de seuils (MAEC, Bio) à atteindre pour pouvoir bénéficier des aides, de l’introduction de règles de dégressivité de certaines aides, du remplacement apparent de la méthode MAE7« faible charge » en MB9 « autonomie protéique » qui est complètement différente et des effets cumulatifs de ces différentes nouvelles contraintes. Cette partie de l’analyse est pourtant essentielle pour évaluer les effets notables probables sur l’environnement tels que stipulé dans l’annexe 1 de la Directive 2001/42/CE relative à relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement. De plus, l’EES reconnaît par ailleurs n’avoir pas disposé du temps nécessaire pour évaluer les effets synergiques et cumulatifs du projet de PWDR, contrairement à ce qu’exige l’annexe 1 de cette directive.
Il est clair que si cette évaluation ne répond pas aux objectifs de la Directive 2001/42/CE, elle ne répond pas non plus aux attentes de la Partie V du Code wallon de l’Environnement concernant les évaluations des incidences sur l’environnement, à laquelle l’étude se réfère pourtant (EES, page 10), en particulier l’Art. D56 qui définit le contenu de l’étude d’incidence.
Tout nouveau programme ou ses modifications (Art. D53) doit pouvoir en évaluer « les incidences non négligeables probables, à savoir les effets secondaires, cumulatifs, synergiques, à court, à moyen et à long terme, permanents et temporaires, tant positifs que négatifs, sur l’environnement, y compris sur des thèmes comme la diversité biologique, la population, la santé humaine, la faune, la flore, les sols, les eaux, l’air, les facteurs climatiques, les biens matériels, le patrimoine culturel, y compris le patrimoine architectural et archéologique, les paysages et les interactions entre ces facteurs; » (Art. D56, §3, 6°). Il est pourtant évident qu’à partir du moment où les modifications proposées empêchent la toute grande majorité des gestionnaires actuels des zones protégées de continuer à assurer leur mission et qu’elles risquent de provoquer un abandon de zones bénéficiant actuellement d’une gestion différenciée comme par exemple les bandes enherbées en bord de cours d’eau, l’évaluation stratégique réalisée par le bureau « Bio by Deloitte » manque son objectif principal.
Figure 1. Exemple de zone en bord de cours d’eau en grandes cultures qui assure une large diversité de services pour l’environnement et la biodiversité en diminuant l’impact de l’agriculture intensive
Cette évaluation ne répond pas non plus aux obligations de l’article 29 de la loi du 12 juillet 1973 sur la conservation de la nature qui impose d’évaluer les incidences sur les sites Natura 2000 mais aussi sur les objectifs de conservation comme elle ne permet pas d’identifier les menaces sur les espèces protégés ou les engagements de la Wallonie d’assurer la gestion à long terme dans les projets LIFE. De plus, les zones agricoles à haute valeur naturelle de Wallonie, qui étaient identifiées à travers le concept de la Structure Ecologique Principale (SEP) et qui bénéficiaient d’un financement complémentaire de 20% pour certaines MAE, sont ignorées dans la proposition de PwDR alors que c’est l’une des priorités visées par l’art. 5 du règlement 1305/2013/CE.
Enfin, on peut aussi s’interroger sur le respect de l’obligation de « standstill » déduite de l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution belge assurant la protection d’un environnement sain. Cette obligation impose à l’autorité publique le maintien d’un niveau de protection au moins équivalent à celui assuré par la norme faisant l’objet d’une révision, à moins de justifier de motifs d’intérêt général.
Des conclusions de l’EES irrecevables
Nous ne pouvons que contester la conclusion du rapport qui indique : « Sous réserve de l’intégration des recommandations du rapport, qui portent principalement sur les actions permettant d’améliorer la diversité biologique, la qualité des eaux et des sols, et des conditions opérationnelles de mise en pratique des mesure, il ne devrait pas entrainer d’incidence négative sur l’environnement,et devrait avoir des incidences positives celui-ci. » (EES, page 9).
Les recommandations proposées pour les mesures 10 (MAEC) et 11 (Bio) restent très générales (EES, pages 92-94) car aucune évaluation détaillée de changements proposés déjà évoqués n’a été effectuée. Aucune évaluation de l’adéquation des propositions du projet de PwDR avec les forces, les faiblesses, les opportunités et les menaces pourtant bien identifiées dans l’analyse SWOT (PwDR, pages 24 à 37) n’a pas non plus été réalisée en particuleir pour la priorité 4 « restaurer, préserver et renforcer les écosystèmes liés à l’agriculture et à la foresterie ». Elle aurait pourtant révélé un risque important de renforcement des menaces et des faiblesses et une diminution des forces et des opportunités.
L’EES indique d’ailleurs (page 8) que « Il est important de noter que l’évaluation des incidences sur l’environnement des différentes mesures du PwDR a été réalisée sur la base des informations mentionnées dans le PwDR, qui ne permettent pas une analyse précise des incidences sur l’environnement » et qu’il n’a pas été possible pour les évaluateurs « d’intégrer des consultations en direct des parties prenantes, de procéder à des modélisations (par exemple impacts cumulatifs et/ou synergiques de mesures sur des zones proches des zones Natura 2000 ou pour les dispositifs des mesures agro environnementales) et de fonctionner en dispositif itératif ».
Dans ces conditions, les évaluateurs auraient simplement dû constater l’impossibilité de rendre un avis pertinent qui engage leur indépendance et la qualité de leur travail. Cette absence de contrôle explique probablement les dérives actuelles observées dans le projet de PwDR.
En conséquence, nous demandons qu’avant toute modification aussi fondamentale du programme actuel, que :
- les modifications apportées pour les nouvelles mesures 10 (MAEC) et 11 (Bio) par rapport à la programmation précédente soient d’abord clairement identifiées,
- un bilan détaillé et une prospective, à la fois statistique et budgétaire, soient réalisés pour chacune des mesures et des méthodes concernées,
- les problèmes éventuels soient identifiés en toute transparence pour éviter les explications « adhoc », la mise en exergue de cas exceptionnels et de problèmes mineurs,
- les impacts individuel et cumulatif, primaires et secondaires, des modifications soient évalués à la fois pour les agriculteurs mais aussi pour l’environnement et la biodiversité, compte tenu de la capitalisation environnementale réalisée depuis des années. Cette modélisation devrait idéalement couvrir l’ensemble des composantes de la PAC : 1er Pilier (évolutions des DPU et verdissement) et 2ème Pilier.
- les nouvelles règles de calcul pénalisantes utilisées, pour définir les montants allouables en cas de possibilité de cumul entre méthodes et mesures soient étayées et justifiées,
- l’efficience réelle de l’ensemble des modifications soit démontrée, c’est-à-dire qu’on évalue dans quelle mesure les solutions proposées corrigent réellement les problèmes constatés et évitent surtout de générer des problèmes collatéraux importants.

Figure 2. Exemple de zones protégées dont la gestion est assurée par des agriculteurs grâce à la complémentarité des différentes aides disponibles dans le 2ème pilier de la Politique Agricole Commune
Si certaines propositions de modifications devaient être confirmées car des alternatives sont prévues, il est indispensable d’avoir une décision politique préalable définitive sur ces alternatives avant de statuer sur le PwDR. C’est par exemple le cas évoqué d’une prise en charge des enjeux de gestion des zones protégées par les budgets de la conservation de la nature (100% par la Wallonie alors que les MAEC sont co-financées à 40% par le FEADER) ou d’un transfert de Méthodes Agro-Environnementales comme Surface d’Intérêt Ecologique relevant du 1er Pilier de la PAC. Tant que ces décisions ne sont pas prises, il est indispensable de maintenir les mesures actuelles dans le PwDR.
Autres contributions de ce blog :
- « Les éléments du débat »
- « Les analyses du PwDR »
- « La carte blanche » du 14 mars 2014 dans Le Soir : Les enjeux de la Politique Agricole Commune en Wallonie : une volonté de découpler agriculture et nature ?
Les intentions des autorités européennes et régionales pour soutenir la petite agriculture familiale sont excellentes et elles rejoignent très certainement le souhait d’une grande partie de la population. Malheureusement, elles sont contredites par les limitations des aides financières.
Pourquoi cette contradiction?
Il faudrait sans doute trouver la réponse en dehors de notre système d’économie marchande et sonder le système de la réciprocité dans le monde agricole d’avant guerre.Cette réalité, je l’ai vécu moi même durant la fin des années 40 lorsque dans mon village, je passais une grande partie de mes grandes vacances sur les terres agricoles ou mes copains aidaient leurs parents. C’est parmi les plus beaux souvenir de mon enfance.
A l’époque l’entraide était une réalité simple et toute naturelle et le producteur n’avait pas à rendre compte de cet apport de main d’œuvre aux autorités de contrôle. L’esprit d’entraide villageoise compensait l’aide financière qui aujourd’hui semble être la seule solution au soutien de l’agriculture même si cette aide est devenue déficiente. Pourtant quand on voit aujourd’hui le nombre d’associations, de réseaux (SEL, Riebercafe), l’entraide est toujours bien une réalité humaine. Malheureusement cette entraide est légalement exclue des petites entreprises et en particuliers des entreprises agricoles, familiales et écologiques.
Notre association Wwoof Belgium tente de promouvoir cet esprit ancestral et novateur.
Malheureusement beaucoup de ces petites entreprises n’osent pas faire le pas, elles se sentent coincées dans le carcan d’une législation du travail qui exclut l’existence même de cette entraide.
Il peut sembler paradoxal de voire que c’est précisément les agriculteurs industriels moins en demande de main d’œuvre qui reçoivent le plus.
C’est la logique du système monétaire mais pas celui de l’entraide.
Contact: https://mail.one.com/