Schéma de Développement de l’Espace Régional (SDER) : Quelle biodiversité dans les paysages wallons en 2020 ?
Enquête publique du SDER – janvier 2014
Marc Dufrêne1, Nicolas Dendoncker2, Thierry Hance3, Anne-Laure Jacquemart4, Grégory Mahy1, Pierre Rasmont5, Nicolas Schtickzelle3, Emmanuël Sérusiaux6 & Hans Van Dyck3
1Université de Liège, Gembloux Agro Bio-Tech,2Université de Namur, Faculté des Sciences, Département de Géographie,3Université catholique de Louvain, Earth and Life Institute, Biodiversity Research Centre,4Université catholique de Louvain, Earth and Life Institute, Agronomy,5Université de Mons, Institut des Biosciences,6Université de Liège, Faculté des Sciences, Département des Sciences de la Vie
C’est en 1912 que le Professeur Jean Massart de l’ULB publiait un premier inventaire des sites de grand intérêt scientifique en Belgique dans son livre intitulé « Pour la Conservation de la Nature ». Il y proposait de créer des réserves de grandes étendues appelées « parcs naturels » dont la taille devait être suffisante pour que les conditions d’existence ne soient pas modifiées par les activités humaines. Là où la pression de ces activités était intense, il proposait la protection de sites de dimensions plus modestes de manière à conserver localement des stations représentatives de la faune et de la flore naturelle ou à conserver des populations d’espèces rares. Un texte d’une étonnante modernité. Car ce n’est qu’en 1957 que la première zone protégée a vu le jour en Wallonie et plus de 100 ans après, la surface des zones protégées par un statut de la Loi de la Conservation de la Nature (1973) ne dépasse pas 13.000 ha, soit à peine 0.75% du territoire wallon. La Wallonie peut être considérée comme la lanterne rouge des régions européennes voisines. En Flandre, alors que la densité de la population et les pressions foncières sont très importantes, la surface des zones similaires dépassait 33.000 ha en 2010, soit près de 2,5% du territoire (Figure 1). En général, on estime qu’il faudrait idéalement atteindre de l’ordre de 5% du territoire avec un statut de protection significatif, intégrant des réserves naturelles (3%) à d’autres formes de protection (2%) [1].

Figure 1. Evolution des surfaces des zones protégées en Wallonie et en Flandre à gauche et taux de création annuel de zones protégées en Wallonie à droite. Après une accélération jusqu’en 2000 pour atteindre 500 ha/an, le taux de création de zones protégées a diminué de plus de moitié. L’année 2013 révèle une augmentation remarquable que le SDER doit soutenir.
Les conséquences de cette situation sont multiples. Tous groupes confondus, 31 % des espèces animales et végétales étudiées sont menacées de disparition à l’échelle de la Wallonie et près de 9% ont déjà disparu [2]. Comme de nombreux biotopes naturels occupant des zones très sensibles incompatibles avec des activités de production sont trop fragmentés et perturbés, ils ne peuvent assurer des services écosystémiques de support comme les cycles de nutriment, la formation des sols, … et des services de régulation comme la protection de l’érosion et des inondations, l’amélioration de la qualité de l’eau, le stockage de carbone ou la pollinisation et le contrôle biologique (Figure 2).

Figure 2. Fond de vallée restauré dans le cadre d’un projet LIFE (Moule perlière) qui, depuis l’élimination des plantations résineuses en bord du cours d’eau, assure maintenant une large diversité de services écosystémiques de régulation des inondations et de la qualité de l’eau, offre de larges possibilités de valorisation d’activités de randonnées et de découverte de la nature et abrite une biodiversité remarquable. En dédiant ainsi une petite partie du territoire aux processus écologiques, on assure une large diversité de fonctions, on facilite la mise en œuvre de nombreuses obligations européennes et on améliore la coexistence des activités sur le territoire et la cohésion sociale locale.
Alors qu’il y a une demande forte de développement d’un tourisme vert à haute valeur ajoutée et de contacts multiples avec la nature, il n’y a que très peu de zones offrant un accueil adéquat avec des aménagements assurant leur mise en valeur sociale et culturelle. Au lieu de considérer ces services écosystémiques comme des contraintes, il faut les voir comme de réelles opportunités de développement. Malgré un dynamisme local important d’acteurs de terrain (administrations, ONG, Parcs naturels, Contrats de rivières, …), il manque une réelle stratégie régionale et d’une structure assurant la coordination efficace des activités de protection et de gestion des espaces protégés.

Figure 3. Structure écologique principale comprenant actuellement les sites Natura 2000, les SGIB hors réseau Natura 2000 ainsi que les zones candidates au réseau Natura 2000 en 2002.
De manière à répondre à ces enjeux, le Schéma de Développement de l’Espace Régional (SDER) de 1999 proposait d’augmenter les zones protégées prioritairement par l’acquisition, la protection et la gestion de sites considérés comme étant de très grand intérêt biologique (SGIB) sur la base d’inventaires scientifiques coordonnés par le Département d’Etudes du Milieu Naturel et Agricole (SPW/DGARNE). Ces sites, qui représentent de l’ordre de 60.000 ha, forment le cœur de la Structure Ecologique Principale (SEP) qui a pour but de rassembler dans un contour cohérent l’ensemble des zones du territoire ayant un intérêt biologique actuel ou potentiel pour maximiser à la fois la protection de la biodiversité et la restauration des services écosystémiques (Figure 3).
Cette ambition se concrétise dans la Déclaration de Politique Régionale de 2009 (page 108-110)avec un objectif d’au moins doubler la surface des réserves naturelles (11.000 ha fin 2008), pour atteindre de l’ordre de 22.000 ha en 2014. Avec une extension depuis 2009 des zones protégées d’un peu moins de 2.000 ha, on est loin de l’objectif initial, même si on tente d’y ajouter environ 5.000 ha de réserves intégrales feuillues définies déjà en 2008 par le Code forestier mais dont la cohérence des contours n’a toujours pas pu être validée.
La révision du SDER s’annonçait ambitieuse puisque les propositions d’objectifs approuvées fin juin 2012 par le Gouvernement wallon prévoyaient de protéger 27.000 ha de SGIB non couverts par un statut de protection. Pour ce faire, le nouveau SDER promettait de contribuer à l’horizon 2020 à la protection de la SEP et des SGIB et de se doter des moyens pour en assurer la gestion. Ce premier objectif visant les parties les plus remarquables du patrimoine naturel était complété par la notion de trame verte et bleue où la préservation de la biodiversité doit s’accorder de manière équilibrée avec les conditions du développement des activités humaines, y compris agricoles, notamment de manière à restaurer les services écosystémiques.

Figure 4. Le Cuivré de la bistorte (Lycaena helle) est un exemple d’espèce pour laquelle la Wallonie a une véritable responsabilité pour sa conservation. Cette espèce rare et menacée à l’échelle européenne, concernée par la mise en œuvre du réseau Natura 2000, occupe encore en Wallonie de nombreuses prairies humides dans les fonds des vallées ardennaises. Moins de 20% des populations bénéficient d’un statut de protection adéquat ou d’une gestion adaptée (mesures agri-environnementales) alors qu’elles bénéficieraient largement des restaurations d’une infrastructure écologique minimale pour restaurer les services écosystémiques (cfr. Figure 2).
La version soumise à l’enquête publique se révèle complètement amputée de l’objectif de restaurer une SEP fonctionnelle. Le premier objectif se limite à l’engagement de protéger et de gérer les « SGIB reconnus », appellation particulièrement ambigüe, car elle est définie dans le SDER comme les sites déjà protégés par un statut de la Loi de la Conservation de la Nature. La Wallonie s’engage donc courageusement d’ici 2020 à continuer de protéger un peu moins de 13.000 ha qui sont déjà protégés. Les 27.000 ha de SGIB non couverts par un statut de conservation évoqués dans les objectifs de 2012 approuvés par le Gouvernement wallon ont totalement disparu. Seule la notion floue de trame verte et bleue, sans engagement concret, est maintenue. Cette modification de dernière minute rend le SDER totalement incohérent et inutile pour l’ensemble du volet « biodiversité » alors que la restauration du fonctionnement des écosystèmes devrait être une priorité en Wallonie, comme elle l’est en Europe (premier objectif du 7ème Programme d’Actions pour l’Environnement). Elle est d’autant plus incompréhensible que plus de 1.100 ha de zones protégées ont été désignés cette année alors que plusieurs moyens d’actions définis dans la DPR comme le droit de préemption, le Fonds Nature ou la Task Force interministérielle ne sont pas encore opérationnels ou que l’utilisation des sources existantes de financement européen comme le Plan de Développement Rural n’a pas été efficiente.
Nous appelons le Gouvernement wallon, et en particulier le Ministre qui a la Nature dans ses attributions, à reprendre l’objectif initial de protection et de restauration des SGIB non protégés au sein de la SEP comme axe prioritaire des actions « biodiversité ». Cela implique que les périmètres continuent d’être validés sur la base de critères scientifiques, que les enjeux socio-économiques soient identifiés et que des zones d’actions prioritaires maximisant les enjeux de biodiversité et de services écosystémiques soient définies. Les moyens d’actions prévus dans la DPR de 2009 cités ci-dessus doivent être mis en œuvre et complétés notamment par un développement optimal de l’usage des sources de financement européen et une mobilisation coordonnée des différents acteurs concernés sur le terrain. Comme le reconnaissait déjà la DPR, la « biodiversité » est un domaine transversal dont la gestion devrait être associée aux thématiques de « l’environnement » et de « l’eau » dans un Département transversal pour une action territoriale concertée.

Figure 5. Les sites protégés comme la Réserve Naturelle des Hautes-Fagnes représente un capital naturel qui doit être protégé mais aussi partagé et valorisé pour reconstruire les liens avec la nature (voir le Méta-projet de restauration des tourbières en Wallonie)
La protection, la gestion et la restauration du patrimoine naturel de l’Europe est le premier des neufs objectifs du 7ème Programme d’Actions pour l’Environnement à l’horizon 2020 pour contribuer à la stratégie de croissance « Europe 2020 ». Cette volonté se traduit par la Stratégie européenne 2020 pour la Biodiversité et par la Stratégie de développement de l’infrastructure verte régulatrice. D’importants moyens de financement européen sont potentiellement disponibles à travers le Fonds Européen de Développement Régional, le Plan de Développement Rural, les projets LIFE+, … pour restaurer le capital naturel wallon et en particulier une infrastructure verte efficiente. Le SDER doit faciliter la traduction de ces orientations stratégiques en Wallonie pour permettre la mobilisation de ces opportunités de financement à la fois génératrices d’emploi, d’un développement territorial équilibré et d’une meilleure qualité de vie en général.
Plus de cent ans après le premier appel de Jean Massart, les objectifs ont évolué mais la nécessité de réserver une petite partie du territoire à la biodiversité et aux processus écologiques régulateurs reste une priorité.
Contact :
Prof. Marc Dufrêne
Université de Liège Gembloux Agro-Bio Tech
Unité Biodiversité et Paysage
Passage des Déportés, 2
B-5030 Gembloux
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[1] C’est le cas en Flandre avec un objectif de 70.000 ha dans le plan MINA 4. http://www.nara.be
[2] Indicateurs clés de l’environnement wallon 2012. http://etat.environnement.wallon.be