Mois: septembre 2023

Enquête publique sur la Stratégie Biodiversité 360°

Pourquoi une stratégie ?

Alors que le vert domine dans les paysages wallons, l’état de la biodiversité y montre des niveaux de dégradation parmi les plus élevés en Europe occidentale.

Avec 10% d’espèces disparues depuis 50 ans, 30 à 40 % des espèces étudiées qui sont considérées comme menacées dans les différents groupes biologiques, plus de 70% des espèces et plus de 95% des habitats visés par les directives européennes oiseaux et habitats (Natura 2000) en état de conservation défavorable, le capital biologique qui était très significatif grâce à la diversité des paysages montre une érosion très importante (voir EEW).

Indicateurs de l’état de la biodiversité disponible dans l’Etat de l’Environnement wallon

Cette dégradation ne s’explique pas par une forte densité de la population. Depuis 100 ans, la population est passée de 2.8 à 3.6 millions d’habitants ( 2 hab/ha) alors qu’en Flandre par exemple, elle a pratiquement doublé. Les zones urbanisées ou artificialisées (hors jardins, parcs, …) ne couvrent moins de 8% du territoire.

Que se passe-t-il alors dans les 92% restants ?

En termes de protection active de la nature, avec à peine un peu plus de 1% du territoire protégé de manière stricte, la Wallonie est très en retard par rapport aux autres régions urbanisées voisines. L’évolution des zones protégées, qui toujours été très lente, vient de s’accélérer un peu, mais le sous-investissement chronique, tant du point de vue financier (pour des achats de terrain, les travaux de restauration et de gestion, le monitoring biologique, …) que du point de vue des ressources humaines avec des structures dédiées consacrant 100% de leur énergie à cette mission, explique largement ce retard dramatique.

La protection d’espaces naturels ne suffira pas à restaurer l’état de l’ensemble de la biodiversité. Si la biodiversité extraordinaire (espèces rares associées à des milieux rares comme les tourbières, les pelouses calcaires, les landes, les prairies humides, les forêts anciennes, les forêts sur-âgées, …) peut être plus moins contrôlées dans des espaces dédiés, l’enjeu majeur est bien celui de la biodiversité plus ordinaire qui assure un rôle majeur pour le climat ainsi que de nombreux autres services écosystémiques utiles à tous les acteurs et utilisateurs des paysages.

Cette biodiversité aussi retrouver sa place dans les espaces destinés à l’agriculture et à la sylviculture qui représentent plus de 80% du territoire wallon. Et là le retard est aussi dramatique car la manière dont gère encore les paysages agricoles et forestiers reste encore très largement en décalage avec ce qu’il faudrait faire, sans en plus être justifié au niveau socio-économique, vu les impacts quasi nuls sur l’amélioration des rendements (qui régressent même) et l’augmentation importante par contre des coûts des externalités négatives.

Exemples réguliers de gestion « normale » en zones agricole (Pays de Herve) ou forestière (La Roche-en-Ardenne)

Pourtant, la Wallonie se caractérise par plus de 15% de sols fragiles où la production agricole ou forestière devrait être très modulée ou limitée (sols tourbeux, très humides, alluviaux, trop superficiels, fortes pentes) pour limiter les problèmes générés par le drainage, les coupes à blanc, l’érosion des sols, les inondations, la pollution des sols et de l’eau, les plantations hors station écologiques, … alors que d’autres alternatives de revenus économiques réels existent à l’échelle du territoire comme le tourisme par exemple.

Exemples d’usages des sols en contradiction avec les conditions écologiques qui génèrent de nombreuses externalités négatives sur les services écosystémiques, l’environnement, la biodiversité et le climat.

A ce niveau, la responsabilité est bien politique avec des décideurs qui ne veulent pas prendre leurs responsabilités sous la pression de syndicats agricoles et forestiers qui s’obstinent à ne pas vouloir de règles pour contrôler les comportements inadéquats d’une partie de leurs membres et qui freinent l’adaptation des pratiques (usage des pesticides, labour profond, taille des parcelles, plantations monospécifiques, … ) alors que des solutions alternatives existent, solutions d’ailleurs mises en œuvre par un certain nombre d’acteurs pro-actifs mais qui restent isolés par manque de soutien des structures.

La définition d’une stratégie permet de définir une vision commune qui concerne tous les secteurs de la société d’assumer leurs responsabilités et permet d’agir de manière cohérente et efficace.

Il ne sert pas à grand chose de créer des réserves naturelles ou de planter des haies dans des paysages agricoles qui restent gérés de manière très intensive, où on continue à labourer profondément les sols, à utiliser des pesticides sans chercher d’alternatives, à augmenter la taille des parcelles alors que toutes les études démontrent l’intérêt de les diminuer.

Dépasser des tailles de plus de 5 ha ne se justifie pas en terme d’amélioration du rendement, au contraire même si on prend en compte la vulnérabilité aux ravageurs, au risque d’érosion et de coulées boueuses, l’intérêt d’avoir plusieurs cultures qui interagissent, …

Ou, sous prétexte d’assurer l’autonomie fourragère on transforme les prairies en cultures de maïs parce que la densité d’animaux dans les fermes est trop importante parce que les primes PAC encore couplées pour l’élevage continuent de favoriser la surdensité par rapport à la capacité d’accueil des prairies.

Porte d’entrée du village de Nadrin et du Parc Naturel des Deux Ourthes

La définition d’une stratégie à pour but d’améliorer les actions favorables à la biodiversité et au climat sur l’ensemble du territoire, d’impliquer tous les acteurs concernés de manière à maximiser les synergies et la cohérence globale.

Comment la stratégie a-t-elle été élaborée ?

La stratégie wallonne résulte notamment de la large consultation des Ateliers de la Biodiversité initiée lors de la précédente législature en 2019. Ces ateliers avaient produits plus de 400 recommandations dans le cadre de huit ateliers thématiques qui, de manière récurrente, ont insisté sur la gouvernance et la nécessité de définir un cadre général pour structurer les actions nécessaires.

Dans sa Déclaration de Politique Régionale 2019-2024, le Gouvernement wallon s’est engagé à « mettre en œuvre une stratégie « Biodiversité 360° » pour la Wallonie, en s’appuyant notamment sur les résultats des Ateliers de la biodiversité, pour fixer des objectifs ambitieux pour la législature et plus globalement pour la décennie 2020-2030.

La stratégie wallonne s’aligne sur les enjeux et les engagements pris au travers du du « Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal », de la « Stratégie européenne Biodiversité 2030 » ainsi que de la « Stratégie Nationale belge pour la Biodiversité ».

Le Département de la Nature et des Forêts a ensuite été chargé de réaliser des concertations pour préparer le projet de Stratégie Biodiversité 360° avec la participation de services administratifs, de représentants du secteur associatif et d’experts externes. Des ateliers thématiques ont été organisés entre mars et avril 2021 pour identifier les actions à entreprendre.

Le projet de Stratégie Biodiversité 360° a ensuite émergé de l’analyse et de la synthèse du travail réalisé dans ce cadre.

Les grands axes de la stratégie Biodiversité 360°

La stratégie se structure en 5 grands axes :

  • Axe 1 : Préserver la biodiversité et restaurer les populations d’espèces et les habitats naturels dégradés.
    Les actions de cet axe cherchent à développer, cartographier et étendre les zones protégées en Wallonie, à éliminer ou réduire les impacts des espèces exotiques envahissantes, à améliorer l’état écologique des cours d’eau et à favoriser les services écosystémiques en lien avec les habitats.
  • Axe 2 : Intégrer la biodiversité dans les logiques de développement et les activités économiques et favoriser une utilisation durable de la biodiversité.
    Cet axe vise à la réduction globale de l’empreinte écologique des activités humaines et plus spécifiquement certains secteurs : le bâti, l’agriculture, la gestion forestière et les entreprises. Un accent est également mis sur une meilleure intégration des risques et dommages pour la biodiversité en amont des activités économiques, dès la conception des plans et projets
  • Axe 3 : Valoriser la biodiversité et mobiliser l’ensemble des acteurs de la société en sa faveur.
    Au travers de mesures de sensibilisation et de formation à différents niveaux de la société (enseignement, formations professionnelles, grand public), cet axe cherche à intégrer toutes les parties prenantes dans une meilleure prise en compte des enjeux liés à la préservation de la biodiversité, notamment par les acteurs des secteurs agricole, sylvicole et touristique.
  • Axe 4 : Déployer les actions au niveau local et rayonner à l’international.
    L’objectif de cet axe est de coordonner les différentes actions en faveur de la biodiversité depuis l’échelle locale vers les autres échelles (régionale et internationale). Une attention particulière est portée sur l’accompagnement des entités locales pour l’intégration des objectifs ambitieux pris au niveau régional et supra régional.
  • Axe 5 : Connaître la biodiversité et encadrer les activités sur le terrain.
    Cet axe comprend d’une part un volet législatif comprenant l’adéquation du cadre légal avec les objectifs et le contrôle du respect de son application et d’autre part un volet d’approfondissement de la recherche et de la connaissance de la nature et de la biodiversité à travers le partage des informations.

Chacun de ces axes est subdivisé en Objectifs stratégiques (OS) pour chacun desquels la stratégie identifie des Enjeux, définis une Vision à 2030, propose un chemin opérationnel avec différents Objectifs opérationnels (OO) et des Actions concrètes.

Par exemple, le premier objectif stratégique (OS1.1) de l’Axe 1 est d’assurer la préservation des espèces et des habitats menacés :

  • La Vision à 2030 est au moins l’arrêt des régressions voire le rétablissements des espèces et des habitats menacés avec la mise en place de mesures de restauration ciblée et coordonnée les plus efficaces. Ces actions ont un caractère volontaire et sont réalisées en accord avec les propriétaires. La superficie des aires strictement protégées (réserves naturelles au sens large) est accrue pour atteindre 2 % du territoire en 2025 et 5 % du territoire en 2030 qui bénéficient d’un plan de gestion dont les actions sont régulièrement évaluées. La collaboration entre les partenaires publics et associatifs est renforcée.
  • Un chemin opérationnel est défini avec 3 objectifs opérationnels :
    • OO 1.1.1 Compléter le réseau régional des aires strictement protégées pour atteindre 5% du territoire en 2030
    • OO 1.1.2 Améliorer l’état de conservation d’au moins 30 % des habitats et des espèces menacés d’ici 2030
    • OO 1.1.3 Prévenir et limiter l’impact des espèces exotiques envahissantes
  • Pour chacun de ces objectifs opérationnels, une série d’Actions concrètes à mettre en oeuvre sont identifiées. Pour le premier OO 1.1.1 les actions sont :
    • Action 1.1.1.1 Améliorer et adapter les moyens et procédures existants pour faciliter la création, restauration et la valorisation de réserves naturelles
    • Action 1.1.1.2 Renforcer la collaboration entre les acteurs publics et privés et la diffusion des connaissances pour la gestion des réserves naturelles
    • Action 1.1.1.3 Améliorer et renforcer le soutien financier aux gestionnaires des réserves naturelles publics et privés
    • Action 1.1.1.4 Munir toutes les réserves naturelles d’un plan de gestion approprié

Le texte complet de la stratégie est disponible sur le site dédié à l’enquête publique sur http://environnement.wallonie.be/enquetes-publiques/biodiversite/ressources.html.

Une synthèse d’une présentation est aussi disponible pour avoir un aperçu rapide des éléments de la stratégie.

Ce document est complété par une étude d’incidences détaillée et un rapport simplifié qui en résume les éléments principaux qui sont repris ici :

« L’évaluation montre une majorité d’impacts positifs sur les thématiques de diversité biologique, faune et flore, de santé humaine, de qualité des eaux de surface et souterraines et des sols, de lutte contre le changement climatique et de préservation des paysages.
Concernant les services écosystémiques, explicitement visés par certains objectifs opérationnels, le
projet de SB360° vise à favoriser la multifonctionnalité des milieux afin d’éviter des écosystèmes simplement orientés vers la production et privilégier plutôt un bouquet de services écosystémiques.
Certaines thématiques socio-économiques (entreprises et secteurs agricoles, sylvicoles et touristique) présentent des incidences contrastées avec de possibles incidences négatives. Cela s’explique par les ambitions d’incitation et d’accompagnement au changement vers des pratiques plus favorable pour la biodiversité.
De plus, il apparaît que le projet de SB360° va nécessiter des efforts importants de la part des administrations avec des besoins en moyens financiers et humains conséquents. De nombreuses incidences négatives pourront cependant faire également l’objet d’opportunité en termes de création d’emploi et de résilience et durabilité des activités (agricoles, sylvicoles et touristiques notamment).
« 

Ce rapport d’évaluation des incidences indique aussi que :

« Sans la mise en œuvre du projet de SB360°, il peut donc être attendu que la tendance actuelle se poursuive dans le futur, confirmant un déclin général de la biodiversité, à l’exception de certaines espèces, et la poursuite de la dégradation du cadre environnemental avec des conséquences pour l’Humain. En effet, les engagements pris et les actions mises en œuvre depuis plusieurs années ne semblent pas, jusqu’à présent, mener à un redressement global de la situation environnementale.« 

Cette stratégie est soumise à enquête publique jusqu’au 2 octobre 2023 – n’hésitez pas à donner votre avis et surtout de montrer votre adhésion à cette stratégie fondatrice !

Pour vous aider à formuler votre opinion :

  • CANOPEA (Fédération des associations environnementale de Wallonie) fait un appel aux citoyen·ne·s pour se mobiliser et obtenir un sursaut politique indispensable. La fédération propose un courrier de soutien et un avis comme sources d’inspirations.
  • NATAGORA donne un avis largement positif mais regrette aussi le manque d’ambitions des mesures actuellement retenues en agriculture et en sylviculture.
  • FWA (Fédération wallonne de l’agriculture) donne un avis plutôt positif sur les objectifs mais critique les objectifs européens de 30% de zones protégées dont 10% strictement, se réjouit de ne pas voir le réseau Natura 2000 étendu, s’interroge sur la cartographie du réseau écologique alors que le processus prévoit bien une co-construction sur base d’un diagnostic biologique, n’accepte pas de généraliser les contraintes environnementales des bails à ferme alors qu’il s’agit bien d’un outil efficace pour limiter les dérives et justement orienter les spéculations agricoles sur des terrains loués à des agriculteurs vers des approches plus durables et agroécologiques si les propriétaires le souhaitent, …
  • UVCW (Union des Villes et des Communes) donne un avis prudent mettant en avant le risque que des mesures volontaires deviennent contraignantes un jour, s’inquiète de voir le concept de réseau écologique sans connaître sa portée légale et des moyens nécessaires pour mettre en oeuvre la stratégie, …
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